Croisière, faut-il sanctuariser certaines zones ?

La croisière permet de découvrir en totale autonomie, des lieux absolument merveilleux et parfois inaccessibles aux pauvres terriens limités dans leurs déplacements. Avec le développement de la croisière dans les années 60, ces mouillages sont devenus au fur et à mesure de plus en plus prisés jusqu’à… être totalement saturés. La solution est-il de sanctuariser certains mouillages ? Enquête des SEAtizens autour du monde.

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Années (19)64… Un jeune enseigne de vaisseau remporte la seconde édition de la transat en solitaire courue entre l’Angleterre et les États-Unis. Eric Tabarly devient une icône et les Français découvrent en même temps que la course au large, le plaisir de naviguer. Le nautisme vient de remplacer le yachting qui ne s’adressait qu’à une élite richissime. Quelques chantiers auront l’intuition que la production « de masse » peut devenir un modèle économique rentable 
Les bateaux en bois, qui demandent beaucoup d’entretien, sont remplacés par des coques « plastiques ». La France construit des bateaux qui s’exportent bientôt dans le monde entier, et des ports pour les accueillir sur tout son littoral. 
Parallèlement à cette mode qui séduit de plus en plus de français de toutes conditions, de jeunes chevelus cherchent – à la fin des années 60 –  de nouvelles raisons de vivre et surtout à profiter de la vie… Le bateau permet de partir vivre une vie différente, loin d’un monde devenu bien trop mercantile. 
La course autour du monde sans escale qui part d’Angleterre en 1968 va – plus que tout autre événement – littéralement sanctifier l’un des skippers qui va devenir le héros de cette nouvelle génération de marins / aventuriers / vagabonds… Bernard Moitessier est en effet en passe de gagner la course. Pour le vainqueur, c’est la gloire assurée et la fortune aussi, puisque le Sunday Times qui organise le Golden Globe Challenge, a promis un globe en or au vainqueur. Mais Moitessier, alors qu’il passe le Horn, et est largement en tête de la course, décide d’abandonner « pour sauver son âme » et continuer à naviguer. Il reprend sa « longue route » jusqu’à Tahiti, réalisant ainsi un tour du monde et demi. Le livre tiré de cette aventure (La longue route – éditions Arthaud) deviendra un best-seller et Moitessier, l’icône de plusieurs générations de marins. 
Au début des année 70, la Méditerranée puis l’arc Antillais et enfin la Polynésie deviennent le terrain de jeu favori de ces nouveaux aventuriers, capables de tout plaquer pour vivre leur rêve d’absolu, de rencontres et de voyages… On commence alors à entendre parler de certains coins que nous font découvrir ces voyageurs en bateau dans des revues nautiques qui se créent un peu partout en Europe et en France (Loisirs Nautiques en 1969, Voiles et Voiliers en 1971 proposant une vision plus moderne que celle des Cahiers du Yachting ou de Bateaux…). Les merveilleuses îles grecques comme Hydra (où Leonard Cohen a vécu avec Marianne Faithfull), les Tobago Cays et plus généralement toutes les Grenadines, les BVI ou encore les Saintes deviennent des mouillages où il faut avoir été…

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Le résultat ne se fait pas attendre : les loueurs de bateaux développent de nombreuses bases hâtivement sur ces zones et le nombre d’unités présent sur ces mouillages devient rapidement insupportable. Insupportable pour les locaux, mais aussi pour la faune et la flore et finalement, insupportable même pour les marins subissant ces mouillages surpeuplés, qu’ils soient en bateau de location ou sur leur propre unité. 
Je me souviens ainsi, un soir avoir littéralement « craqué », au Tobago Cays, au début des années 2000. Nous étions alors en famille à bord d’un cata de location et nous avons quitté le mouillage rempli d’une centaine de bateaux pour aller trouver refuge dans une petite crique isolée à moins d’un mille de là. Petite crique que les loueurs de bateaux interdisaient du fait d’une roche posée au milieu de la passe et dans laquelle nous avons passé une nuit totalement solitaires… Et comble de bonheur, le lendemain matin, nous avons pu nous baigner dans une eau limpide. Car ce que certains ignorent, c’est qu’une centaine de bateaux au mouillage, cela signifiait, à cette époque, une deux, trois ou quatre cent chasses d’eau qui étaient tirées au réveil, rendant la baignade matinale… un brin moins glamour ! Heureusement, la réglementation a changé. Aujourd’hui, les bateaux de croisière doivent obligatoirement être équipés d’un réservoir à eaux noires – dans lesquels les excréments sont gardés en attendant de pouvoir les vider en pleine mer. Sauf que je peux témoigner d’avoir vu chez certains loueurs, des réservoirs à eaux noires bloqués ouverts, pour éviter d’avoir à venir dépanner des locataires peu précautionneux.

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Et les paquebots dans tout ça?

Le développement de la croisière en voilier a dangereusement surpeuplé certaines zones très appréciées des navigateurs. Mais que dire des zones choisies par les paquebots de croisière ? On ne parle plus ici d’une centaine de bateaux avec deux à huit personnes à bord, mais de plusieurs paquebots au mouillage avec plusieurs milliers de passagers à bord de chacun d’eux. Les navires de la classe Excellence de la compagnie Costa Croisières embarquent ainsi 6 600 passagers et près de 1 700 membres d’équipage, soit 8 300 personnes. Et même si certains des plus récents paquebots sont propulsés au GNL (gaz naturel liquéfié), carburant moins polluant que le fioul lourd – avec ses rejets en masse  dans l’atmosphère de particules fines, d’oxyde de soufre ou d’azote-  il n’en reste pas moins que la présence de ces géants des mers  a un impact particulièrement désastreux sur la faune et la flore. C’est particulièrement vrai dans des zones ultra-sensibles et surtout très fragiles, comme en Arctique. C’est là que la compagnie Hurtigruten officie au départ notamment de la Norvège. Afin de protéger l’environnement (et sûrement aussi un peu pour son business), Hurtigruten équipe certains de ses paquebots de moteurs hybrides. Les émissions de carbone seraient ainsi réduites de 20% et surtout les nuisances sonores largement diminuées dans les zones sensibles. C’est bien, mais est-ce suffisant dans un environnement à ce point fragile ? On peut légitimement se poser la question. 
Disney Cruise Line qui gère une flotte de quatre navires et va bientôt en mettre trois autres en circulation communique beaucoup sur ses actions pour l’environnement. Par exemple, en réutilisant l’eau d’évaporation de la clim pour ensuite laver les ponts, la compagnie économise 113 millions de litres d’eau potable par an…
Mais même avec la meilleure volonté du monde, un paquebot de 300 mètres de long et dont la coque est peinte avec une peinture spéciale, pour éviter que tout organisme marin ne se colle dessus en l’empoisonnant, ne pourra jamais être totalement neutre dans un mouillage…
Et ce n’est pas tout : selon une étude qui date de juin 2019 réalisée par l’ONG Transport et Environnement, les 47 paquebots de Carnival ont, à eux seuls, rejeté 10 fois plus d’oxyde de soufre sur les côtes européennes que les 260 millions de voitures présentes sur le continent…

Alors, on sanctuarise?

Il devient urgent de laisser quelques zones « respirer » et surtout être protégées de ces nouveaux fléaux. On voit apparaître de plus en plus de zones où le mouillage des voiliers n’est plus autorisé sur ancre, mais seulement sur bouées (payantes). Aux Seychelles ou aux BVI, il devient quasiment impossible de mouiller sur ancre, tout comme aux Saintes et dans nombre d’autres mouillages réputés. Depuis plusieurs années maintenant, les Tobago Cays aux Grenadines sont devenues un parc national dans lequel vous ne pouvez accéder et surtout mouiller qu’en vous acquittant d’une taxe sensée servir à protéger le lieu. 
Et si certains râleurs s’emportent en prétextant qu’on n’est plus libre de faire ce que l’on veut, force est de reconnaître que ces limitations permettent de redonner de l’oxygène à des zones en forte tension et on revoit, aux Tobago Cays ou dans certains mouillages des Seychelles, revenir des poissons ou des tortues disparus depuis longtemps…
En ce qui concerne les paquebots, c’est beaucoup plus compliqué. Chaque escale rapporte beaucoup d’argent et rares sont les collectivités qui accepteraient de se priver d’une telle manne. On se retrouve donc face à un business en plein développement et qui ne respecte aucune zone du globe. L’Antarctique est par exemple pour l’instant protégée par un traité datant de 1959… Et pourtant, on y organise des croisières en paquebot. Vous pouvez, par exemple et pour la modique somme de 7 213 euros prévoir de partir en janvier prochain au départ de Buenos Aires et pour 12 jours de rêve. Au programme : « la découverte d’un continent vierge ».

A moins qu’une pandémie mondiale ne finisse par avoir raison des appétits sans fin d’entreprises voraces, et incapables de comprendre qu’elles sont en train de tuer leur poule aux œufs d’or…

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