En 2023, la France a répondu présente à plusieurs grands rendez-vous sur la question des mers et des océans. Elle a participé à des prises de décisions historiques et s’est félicitée des avancées importantes sur la protection des océans et de la biodiversité. Mais certaines voix s’élèvent pour dénoncer une politique à deux vitesses, qui privilégie l’économie à l’environnement. Alors, la France est-elle pompier ou pyromane ? Décryptage.
Un accord historique
Le 4 mars 2023, le premier traité international sur la protection de la biodiversité marine en haute mer, qualifié d’ “historique”, a été conclu à l’ONU. A travers un communiqué conjoint du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et du Secrétariat d’Etat chargé de la Mer, la France “se félicite” de ce “Traité ambitieux pour la protection de la Haute mer”. Il permettra, selon le communiqué, d’ouvrir la voie à “la création d’aires marines protégées en haute mer”. Mais aussi, il inclut “des obligations pour les Etats d’évaluer l’impact environnemental des nouvelles activités qu’ils projettent en haute mer”.
Ne nous y trompons pas, si la question environnementale est bel et bien au centre de cet accord, la question économique reste une donnée essentielle que les signataires n’ont pas perdue de vue. En effet, toujours selon le communiqué français, ce traité permet “un partage juste et équitable des bénéfices de découvertes faites dans les océans, et qui pourraient être déterminantes pour les sciences, les technologies ou la médecine”. S’ajoute à cela le développement de la recherche scientifique…
En clair : on continue d’exploiter les océans, mais avec des gardes-fous pour éviter les mêmes erreurs que sur la terre ferme. Concrètement c’est environ 30% des océans qui seront protégés par l’accord. Dans ce pourcentage, on trouve des zones “intégralement protégées” où toute activité humaine sera interdite (pêche, exploitation minière ou pétrolière, et transport maritime). Mais aussi des zones “hautement protégées” où l’activité humaine sera autorisée mais encadrée. Reste à savoir quelle est la part réelle laissée à la biodiversité.
Mais ne soyons pas cynique, il s’agit d’une véritable avancée en la matière, que la communauté internationale a largement salué dans les médias. La France, qui possède le deuxième domaine maritime mondial, s’est d’ailleurs mobilisée pour aboutir à un “compromis final ambitieux et inclusif”, après quinze ans de négociations, pour un accord “juste et applicable”, toujours selon le communiqué.
Une politique française tous azimuts
Sur cette question de la protection des océans, la France a un agenda chargé. Elle multiplie littéralement les rendez-vous diplomatiques. En février 2022, lors du One Ocean Summit de Brest, le Président français avait pris des engagements pour la protection de la biodiversité et des ressources des océans, ou encore pour la lutte contre la pollution plastique.
Il a également largement communiqué lors de la COP15 sur la biodiversité qui s’est tenue au Canada en décembre 2022. La France s’était alors positionnée en modèle concernant ses “engagements ambitieux”, notamment concernant les aires marines protégées. Mais elle avait également œuvré à l’établissement d’un cadre mondial pour la protection de la biodiversité marine.
Le 2 mars 2023, lors de la Conférence “Notre Océan” qui s’est tenu à Panama, l’Union européenne a annoncé qu’elle allait mobiliser plus de 800 millions d’euros pour la protection des océans. C’est d’ailleurs à cette occasion que les discussions pour la négociation du “Traité pour la haute mer” ont été relancées, notamment sous l’impulsion de la France.
Le 15 mars 2023, la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Mme Colonna, et le Secrétaire d’Etat chargé de la Mer, M. Berville, ont lancé le comité de pilotage de la Conférence des Nations Unies pour les Océans, qui se tiendra à Nice en juin 2025. En effet, la France s’engage à nouveau politiquement et diplomatiquement aux côtés du Costa Rica afin de “poursuivre la dynamique” engagée au premier semestre 2023, selon un communiqué. Une nouvelle preuve de la volonté de la France de se faire la porte-parole des océans et de la biodiversité sur la scène internationale.
La pêche : le point noir de la politique française
Les associations et ONG qui œuvrent au quotidien pour la protection des océans semblent reconnaître les avancées importantes promises par les différents accords et attendent des actes concrets. Cependant, concernant la politique française sur la pêche, le ton est beaucoup plus dur.
En effet, en septembre 2022, le Président Macron a plaidé à l’UE contre l’interdiction des engins de pêche destructeurs comme la senne démersale (voir notre article), provoquant l’ire de plusieurs associations et scientifiques.
En avril 2023, c’est le secrétaire d’Etat chargé de la Mer qui est dans le viseur. Ses prises de position répétées contre l’interdiction de la pêche dans les aires marines protégées ont mis le feu aux poudres. Il a notamment indiqué à la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, le 15 mars 2023, que le plan d’interdiction de l’UE s’est fait sans “aucune concertation” des Etats membres, “sans étude d’impact”, et qu’il est “aveugle” puisqu’il “ne fait pas de distinction entre les engins de pêche”. Enfin, il a indiqué que ce plan “condamnerait la pêche artisanale française et l’amènerait à disparaître”.
Selon l’association Bloom, qui a porté plainte contre le ministre auprès de la Cour de Justice de la République le 11 avril dernier, ces “propos irresponsables” ne sont que des “mensonges”. L’ONG accuse notamment M. Berville d’avoir “généré un désordre aux conséquences graves” puisque dans la nuit du 30 au 31 mars 2023, les bureaux de l’Office Français de la Biodiversité ont été incendiés à Brest. Entre incompréhension et sentiment de trahison les différents acteurs de la filière halieutiques et de la protection de la biodiversité se retournent contre le gouvernement et demandent une clarification de la situation.
Ainsi, que ce soit à l’échelle de la France ou du monde, la protection de la biodiversité marine semble constamment mise en balance avec les différentes questions économiques liées à l’exploitation des océans. Pêche, exploitation minière ou pétrolière, tourisme ou encore transport maritime sont les véritables enjeux des négociations politiques. S’il est indéniable que les récentes décisions internationales en faveur de la protection des océans constituent de réelles avancées, peut-on réellement continuer à déployer des politiques à deux vitesses ? Surtout quand on affirme dans les communiqués gouvernementaux que “Les océans sont un patrimoine et un bien commun de l’humanité. Réserves de biodiversité abritant plus de 250.000 espèces connues, ils sont aussi les plus grands puits de carbone de la planète et leur protection est essentielle à la lutte contre le changement climatique”…