Avant même sa sortie, nous nous sommes empressés de commander le premier livre de Maxime Blondeau, intitulé Géoconscience, paru chez Allary éditions. Un titre évocateur qui invite à la fois au voyage sur notre belle planète bleue et à un nouveau regard sur le territoire. Il fait également la part belle aux océans à travers des cartes originales et de magnifiques photos. Un ouvrage où l’on apprend beaucoup, sans jugement, et qui éveille les consciences. À lire et à offrir sans modération. Interrogé sur son ouvrage, Maxime Blondeau a également accepté de répondre à quelques questions.
Le 17 octobre 2024, Maxime Blondeau publie officiellement son premier livre, Géoconscience, après une campagne de financement collaboratif qui lui a permis de lever plus de 200 000€ de fonds. Il faut dire qu’il a pu compter sur sa très large communauté LinkedIn où il est très actif. Géoconscience n’est pas seulement un ouvrage de vulgarisation scientifique. Il envisage la géosphère (l’espace) comme un milieu dont il faut prendre conscience pour mieux le protéger. Son mantra est simple : “prendre soin du monde, c’est prendre soin de soi”. Il s’appuie pour cela sur la cosmographie, une discipline héritée de grands noms de l’exploration scientifique tels que Ptolémée, Copernic, Léonard De Vinci, ou encore Alexandra David-Néel, Haroun Tazief et Yann Arthus-Bertrand. Elle permet de “sortir d’une vision linéaire du territoire en deux dimensions”, et de l’envisager plutôt comme “un sujet agissant”, peut-on lire dans la préface.
Géoconscience : un ouvrage inédit
Si les livres qui traitent de questions diverses sur la planète sont nombreux, celui de Maxime Blondeau présente une approche particulière. Divisé en trois grandes parties (“Imaginer le monde”, “Percevoir le territoire” et “Intégrer le milieu”), il amène le lecteur à “butiner” différents sujets. On passe ainsi d’informations historiques, géographiques ou archéologiques à la climatologie ou encore à l’urbanisme. On y traverse les époques par sauts de puces, de l’origine du monde à nos jours par un jeu de va-et-vient constant. Un véritable voyage à travers le temps et l’espace pour une vision globale très documentée.
Le parcours de son auteur est aussi atypique. Maxime Blondeau est enseignant à Sciences Po Paris et à l’École des Mines. Il est également l’un des fondateurs du “Printemps écologique” en 2020, un éco-syndicat qui œuvre pour la transition écologique. En 2021, il fonde Sailcoop (Voir notre article) avec Maxime de Rostolan et le navigateur Arthur le Vaillant. En 2022, sa notoriété explose sur les réseaux sociaux et l’amène à signer avec plusieurs entreprises et collectivités locales des contrats pour des conférences. Il a ainsi su exploiter ses talents pour le conseil en stratégie, son premier métier, ainsi que son goût pour le voyage et la découverte. Il fonde sa société de conseil et en 2024 tout s’accélère avec la publication de sa newsletter, Cosmorama, et de son premier livre.
Ce livre c’est “d’abord pour mes 160 000 lecteurs quotidiens sur Linkedin et sur ma newsletter Cosmorama”, nous a-t-il confié en entretien. Mais c’était aussi pour “garder une trace de mes cours à Sciences Po et aux Mines. Et puis, j’ai voulu raconter la révolution du territoire que nous vivons en ce moment. Écrire un livre, c’est parler à la postérité, aux générations futures. Je voulais faire un état de l’art de la cosmographie contemporaine, le regard que nous portons collectivement sur le monde en 2024, comme ont pu le faire les grands cosmographes de jadis”, a-t-il ajouté.
Quelle place pour les océans dans Géoconscience ?
Interrogé sur cette thématique, Maxime Blondeau affirme : “L’océan occupe une place centrale dans notre habitat, il occupe donc une place centrale dans ce livre. Je le dis souvent en introduction de mes conférences : nous vivons toutes et tous dans un océan. Quelques îles émergent çà et là, les terres que nous foulons. Mais 96% du volume biosphérique de notre monde, c’est l’océan. Comme je vis à Vannes, en Bretagne, l’océan est partie intégrante de ma réalité sensible et c’est un bienfait.
Certains chapitres sont en effet particulièrement dédiés à la représentation des mers et océans : “Penser l’océan” ou encore “Sillonner les mers”. Cependant, en feuilletant l’ouvrage, on peut aisément se rendre compte de l’omniprésence de l’eau. Ce milieu vital est représenté sur la plupart des cartes géographiques mises en avant ou sur de nombreuses photographies représentant toute la beauté du monde. Par exemple, la vue satellite qui ouvre le chapitre “Penser l’océan” à l’aplomb du “point Nemo”, donne à voir une planète entièrement bleue, modifiant du même coup notre regard anthropocentrique du monde.
L’auteur rappelle par ailleurs qu’il existe bien 5 océans avec la reconnaissance récente de l’océan Austral (voir notre article). On apprend également à prendre conscience des échelles lorsqu’on lit qu’au passage de Drake les abysses descendent jusqu’à 4800 mètres de profondeur. De même, en plein cœur de l’Atlantique, à l’endroit même où les plaques tectoniques se rencontrent s’élève une véritable chaîne de montagnes sous-marine dont les sommets culminent à plus de 4000 mètres au-dessus du plancher océanique. Avec ces chiffres vertigineux, il est aisé d’admettre que les océans restent encore le plus grand mystère de la planète.
Alors, en progressant dans le livre, en faisant les liens entre toutes les informations, nous prenons conscience que les enjeux pour l’homme sont colossaux. Montée des eaux, salinisation de l’eau douce, hausse des températures (voir notre article) sont autant de défis qu’il faudra relever dans les décennies à venir.
L’océan, une ouverture vers l’ailleurs et le voyage… mais menacé
Mais l’océan c’est aussi une promesse de voyage, des paysages insulaires souvent idéalisés ou rêvés. Et Maxime Blondeau n’a pas perdu de vue ses propres voyages à travers la planète. Il rappelle justement en préambule de son chapitre intitulé “Sillonner les mers” que si la mer est depuis toujours une “tombe pour les morts et [un] berceau pour les vivants”, près de “la moitié de la population mondiale vit à moins de 100 kilomètres d’un littoral”. La mer “nourrit les hommes” mais depuis l’avènement de la navigation, “elle appelle aussi le commerce et la guerre”. Depuis à peine un siècle, les plages longtemps désertées se sont peuplées. La raison ? “L’anthropisation littorale et la mutation des activités de la mer [qui] ont pris une dimension mondiale au siècle dernier”.
Là encore, alors que les regards se tournent vers la mer, cette appropriation du littoral n’est pas sans conséquence. L’auteur évoque le cas d’Henderson Island, une île déserte dans le Pacifique Sud qui est “l’endroit le plus exposé à la pollution plastique par mètre cube sur Terre”. A cause de sa situation en plein cœur du gyre océanique du Pacifique, un tourbillon de courants, des dizaines de tonnes de déchets sont rejetées sur ses côtes. Et les opérations de nettoyage, comme celle menée par Plastic Odyssée en 2024, sont périlleuses et n’empêchent pas l’arrivée de nouveaux déchets. Un rappel qu’il faut traiter le problème à la source et qu’on ne règlera pas la question de la pollution plastique sans de vraies mesures à l’échelle mondiale.
Plus loin, on peut lire que “le fleuve Pasig à Manille génère à lui seul 6% de tout le plastique déversé par les rivières dans les océans”. Et le chiffre monte à 80,9% si l’on prend en compte l’ensemble du continent asiatique. Cependant, si les chiffres astronomiques de la pollution plastique, avec des prévisions à près de 29 millions de tonnes en 2040, sont éloquents, il serait bien présomptueux, vu de l’occident, de jeter la pierre à l’Asie. En effet, l’auteur rappelle que “l’occident exporte encore 4,1 millions de tonnes de déchets plastiques vers l’Asie” et que “vingt entreprises d’Europe et des Etats-Unis produisent la moitié du plastique sur Terre”.
Géoconscience met donc en perspective, dans un seul ouvrage, un grand nombre de données d’un même problème. C’est ainsi que Maxime Blondeau parvient à faire prendre conscience à son lecteur des enjeux et des leviers d’action possibles pour améliorer notre rapport au monde. Pour aller plus loin, retrouvez ci-dessous les réponses de l’auteur à quelques-unes de nos questions.
Pourquoi est-ce important de porter un nouveau regard sur le territoire ?
“Parce que nos représentations collectives sont très incomplètes, voire dysfonctionnelles. Selon le secteur, le métier ou la culture, nous occultons des dimensions entières des territoires que nous habitons, du sous-sol jusqu’au ciel, nous ne pensons plus les flux, les durées ou les interactions devenues des angles morts de nos sociétés modernes.
Interroger notre conscience collective de l’espace et du temps, c’est un des moteurs de l’évolution, et je crois que nous ne devrions jamais cesser de le faire.
La deuxième raison, c’est précisément qu’une révolution cosmographique est en marche. Après des millions d’années de nomadisme, des milliers d’années de domination et d’exploitation technique du territoire, nous avons achevé la mondialisation géographique au 20ème siècle. Depuis, l’articulation entre la conscience globale et locale a donné naissance à une forme de pensée intégrale de l’habitat. Nous sommes en train de sortir du néolithique.
Et enfin, parce que sous l’effet combiné de l’accélération numérique et l’avènement d’une conscience écologique, les images et les données dont nous disposons transforment en ce moment même, le regard que l’humanité porte sur son territoire. Et cela se produit partout. Qu’on soit un collégien africain, un retraité coréen ou un ouvrier canadien, notre conscience du territoire est en pleine mutation”.
Comment éveiller notre conscience géographique ?
“Cela commence par nos sens. La perception physique du monde est beaucoup plus riche que nous le pensons. A travers nos corps, nous intégrons une quantité d’information qui dépasse notre entendement et que nous utilisons mal. Sans compter que dans nos sociétés modernes, nous nous coupons littéralement de nos propres sens.
Ensuite, en réapprenant à utiliser un langage très ancien qui se démocratise à vitesse grand V : la cartographie. En 2024, Google Maps est utilisé quotidiennement par 2 milliards d’utilisateurs. Ces usages ne sont pas neutres, ils déterminent notre vision de l’espace vécu.
Nos médias aussi s’emparent de la carte pour raconter le monde, désormais. Et la science l’utilise comme levier de médiation et de recherche.
Cette tendance à la démocratisation des modes de lecture et d’écriture s’expriment en fait sous toutes les formes graphiques aujourd’hui : l’image, la photo, la donnée, la vidéo, la carto, tous ces arts autrefois confidentiels sont en train de se démocratiser. Voilà pourquoi je parle d’une révolution de la représentation graphique du monde, à la croisée de l’écologie et du numérique, une révolution cosmographique”.
De cette prise de conscience géographique naîtra une prise de conscience écologique ?
“Oui, mais la géosphère n’est qu’une partie de l’équation. Selon moi, trois dimensions, trois sphères composent le territoire. D’abord, la géosphère, qui appelle à une conscience de la Terre dont parle ce premier ouvrage Géoconscience. Mais nos territoires sont aussi tissés de vivant, d’être animés. Un second ouvrage baptisé Bioconscience est en cours d’écriture, il traitera de notre relation au monde animal, végétal et microbien. Et enfin, le triptyque sera complet avec une approche nouvelle des dispositifs techniques qui font et transforment le territoire et l’attention qu’on lui prête. C’est la Technoconscience.
Voilà ce que j’appelle la pensée intégrale du territoire, qui combine une approche complexe, dynamique et systémique.
Ça parait compliqué mais je n’invente rien. Des philosophes comme Marc-Aurèle ou Lao Tseu, des poètes comme Paul Valéry ou Averroès en parlaient déjà dans leur siècle, dans les mêmes termes.
Une autre vision collective, une nouvelle alliance est en train de naître au tournant de l’histoire. Et concrètement, cette approche devient applicable aux entreprises, aux administrations et aux individus. La portée de cette mutation est immense, car notre relation collective à l’univers est précisément la source d’un entrelacs de liens sociaux, culturels, politiques et religieux. Ce que nous appelons peuples et nations dérive directement de notre cosmographie.
L’approche intégrale que je propose, bien que nécessairement imparfaite, aurait le mérite d’éviter de trop grands angles morts dans notre vision de l’avenir”.