Bajau Laut : Le peuple des mers en danger

En 2024, la Malaisie a détruit près de 140 habitations précaires appartenant en majorité à la tribu des Bajau Laut. Cette population nomade apatride vit depuis des millénaires au large des Philippines, de la Malaisie et de l’Indonésie. Elle se trouve aujourd’hui persécutée et contrainte de changer de mode de vie.

Des habitations détruites

Avec la destruction de près de 140 habitations appartenant à la tribu des Bajau Laut, la Malaisie a mis en lumière l’existence de ce peuple des mers millénaire. Au-delà de la question humanitaire, c’est toute une culture et un mode de vie qui se retrouvent compromis, voire condamnés.

Destruction d’une habitation appartenant aux Bajau Laut © Free Malaysia Today, 2024
Destruction d’une habitation appartenant aux Bajau Laut © Free Malaysia Today, 2024

Selon une dépêche de l’AFP datant de juin 2024, les autorités malaisiennes ont justifié les destructions sur le littoral de l’État de Sabah dans l’île de Bornéo en expliquant qu’il s’agissait d’une opération de « répression de la criminalité ». Début mai 2024, la communauté des Bajau Laut avait été sommée de quitter les lieux car les maisons construites sur pilotis se trouvaient dans le parc marin protégé de Tun Sakara. Selon les autorités locales, cette opération vise également à lutter contre la pêche illégale.

Mais, toujours selon l’AFP, l’ONG locale de défense des droits de la personne Pusat KOMAS, les Bajau Laut “font l’objet d’une discrimination systémique”. Elle fustige le traitement et les déplacements forcés qui condamnent progressivement cette population des mers à se réfugier sur les terres. Selon le site de Free Malaysia Today (FMT), le Centre for Human Rights Research and Advocacy (Centhra) appelle les autorités à cesser les expulsions qu’il considère comme une violation des droits de la communauté des Bajau Laut.

Qui sont les Bajau Laut ?

Les Bajau Laut, surnommés les “Nomades des mers” sont un des groupes de population apatrides vivant sur les mers au large de la Malaisie orientale, de l’Indonésie de Brunei et des Philippines. Ils ne restent jamais très longtemps au même endroit et migrent en fonction de la présence des bancs de poissons. Les Bajau sont le deuxième groupe le plus important de l’Etat malaisien de Sabah, constituant près de 13% de la population. Ils sont l’une des multitudes de tribus qui composent la grande communauté des Nomades des mers qui compte près de 400 000 personnes réparties sur plusieurs territoires. De confession majoritairement musulmane, leurs croyances et pratiques spirituelles sont cependant intimement liées à la vie maritime.

Des pêcheurs de la tribu des Bajau Laut ©Wikimedia commons
Des pêcheurs de la tribu des Bajau Laut ©Wikimedia commons

En tant que peuple des mers, les Bajau ont noué un lien très particulier avec leur environnement, allant jusqu’à modifier, générations après générations, leur patrimoine génétique pour assurer leur survie dans ce milieu. En effet, les Bajau sont des plongeurs hors pair. D’après un article du National Geographic, qui cite une étude parue dans la revue scientifique Cell, cette population a réussi à développer des capacités d’apnée hors normes, grâce à une mutation génétique. Certains membres de cette communauté peuvent rester jusqu’à 13 minutes à près de 60 mètres de profondeur, grâce à leur rate surdimensionnée. Cet organe, d’apparence anodine, permet en effet de soutenir l’immunité et aide à renouveler les globules rouges.

Par ailleurs, les Bajau sont aussi capables d’écouter la mer. Grâce à des trappes aménagées dans le fond de leurs pirogues, ils posent l’oreille à la surface de l’eau et peuvent ainsi écouter les vibrations émises par la vie sous-marine mais aussi les ondes sismiques. Ils ont pu ainsi prédire l’arrivée du tsunami de décembre 2004 et donner l’alerte aux touristes présents sur les lieux.

Dido, un jeune Bajau, pêche des poissons de récifs sur l'île de Pulau Mantabuan. 
©PHOTOGRAPHIE DE MATTHIEU PALEY, NATIONAL GEOGRAPHIC
Dido, un jeune Bajau, pêche des poissons de récifs sur l’île de Pulau Mantabuan. 
©PHOTOGRAPHIE DE MATTHIEU PALEY, NATIONAL GEOGRAPHIC

Un mode de vie condamné

Si nous prenons l’exemple des Maoris polynésiens, rappelons nous que cette population a presque perdu sa culture. Grâce à l’épreuve de surf de Teahupo’o, à Tahiti, les Jeux Olympiques de Paris 2024 ont permis de mettre sous les feux des projecteurs les populations Maoris et leur culture ancestrale. L’excellent reportage de France Télévision intitulé “Surf, le feu sacré” rappelle notamment le lien particulier que cette population entretient avec la mer. Après avoir sillonné le Pacifique d’îles en îles, les Maoris polynésiens se sont davantage sédentarisés et leur culture a presque été oblitérée par les colonisations occidentales et l’évangélisation.

En Asie du Sud, on peut aisément comprendre que les Bajau Laut et les autres tribus nomades peuvent déranger les autorités par leur présence et leurs activités de pêche et de commerce de produits de la mer. Mais qu’est-ce qui justifie vraiment la persécution systématique de ces communautés ? Le cas des Bajau Laut semble être un nouvel exemple d’une hégémonie systémique imposée par la force, au détriment d’une culture et d’un mode de vie, appelé à disparaître. Il apparaît donc fondamental de protéger ce mode de vie aussi précaire soit-il.

Enfin, la répression des Etats n’est pas la seule menace. Les Bajau Laut vivent quasi exclusivement des produits de la pêche qu’ils accompagnent de riz et de fruits récoltés dans la jungle. Or, les écosystèmes qui assurent leur survie sont aussi menacés par la surpêche dans les récifs coralliens. Les techniques de pêche à la dynamite font notamment d’importants dégâts, réduisant drastiquement le nombre de poissons présents sur les récifs. Cette pratique est notamment dénoncée par l’ONG Coral Guardian qui œuvre à la restauration des récifs coralliens dans la région (voir notre article sur le sujet).

Nous le savons maintenant, le réchauffement climatique et la montée progressive des océans ont conduit aux premières évacuations d’îles submergées dans le monde. C’est le cas par exemple de l’une des 365 îles que compte l’archipel San Blas au Panama. Mais l’archipel le plus menacé par la montée des eaux est sans conteste celui de Tuvalu dans le Pacifique qui compte près de 12 000 habitants. Il semble donc plus judicieux de chercher à mieux comprendre les cultures des populations qui ont su s’adapter à la vie marine pendant des millénaires, plutôt que de vouloir à tout prix imposer un mode de vie terrestre… au risque de noyer notre humanité.

Pour en savoir plus sur les Bajau et leur culture, vous pouvez aussi visionner ce reportage :

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