Plaisanciers, coureurs au large ou armateurs de géants des mers, vous avez tous vos raisons d’acheter ou de faire construire un magnifique bateau qui comblera vos rêves, vos intérêts financiers ou encore votre créativité. Le garderez vous 1 an, 10, 50 ? Personne ne peut le dire. Mais que lui arrivera-t-il à l’issue de votre utilisation ? Nul ne le sait non plus. Toute la question du recyclage et de la déconstruction prend son origine dans ces questions.
Des cimetières à ciel ouvert
« Un cimetière de bateaux est un lieu où l’on stocke, ou où l’on laisse « mourir » les coques des navires. » C’est la définition que nous offre Wikipédia. Selon la même source, « la réglementation environnementale […] incite fortement à ce que soient dépollués puis recyclés ces navires civils ou militaires, qu’ils soient en bois, métaux ou plastique et composites. ». Est ce vraiment le cas ? Vous êtes vous déjà demandés où finissent les navires en fin de vie ?
Direction Le Bangladesh, où se trouve le plus grand cimetière de bateaux au monde, dans la ville de Chittagong. L’ancienne plage de sable fin a laissé place à 25km de « bateau-gruyère », que femmes, hommes et enfants viennent désosser petit à petit. C’est là-bas que le démantèlement semble le moins cher, et les quelques hommes d’affaires qui se lancent dans ce commerce l’ont bien compris. Dans ces épaves, tout est récupéré, des ampoules, aux pièces du moteur qui sont refondues, en passant par les canots de sauvetage. [A ce titre, l’association Watever avait même pu récupérer de vieilles cartes marines. Celles-ci avaient été revisitées par des artistes puis vendues aux enchères. Les fonds ont été intégralement reversés au sauvetage en mer via SOS Méditerranée et la SNSM. Il s’agissait de Trésor à la Carte.] Les propriétaires empochent le gros lot et les ouvriers sont payés au lance-pierre, sans parler des conditions de travail des plus déplorables, que les 30.000 ouvriers bengalais subissent.
Bien moins loin que le Bangladesh, la situation est certes différente. Mais elle n’est pas pour autant reluisante. En effet, les cimetières de bateaux peuplent également nos côtes. Afin de réglementer les activités de démantèlement, l’Union européenne a imposé en 2014 une réglementation des déconstructions dans des chantiers adaptés et encadrés. Et ce, pour tous les bateaux construits au sein de l’UE. Mais cette législation peut être contournée par des reventes et des changements d’immatriculation et de pavillon. La déconstruction coûte cher et les armateurs n’y voient pas grand intérêt économique. Un marché parallèle s’ouvre donc dès que les fameux cargos ne sont plus rentables. Et comme souvent, les rebus technologiques des pays dit « du Nord » font leur entrée dans les pays dit « du Sud », plus sous forme de détritus que de merveilles high-tech.
Des entreprises spécialisées dans la déconstruction et la revalorisation des déchets
A une échelle différente, la filière REP (Responsabilité élargie du producteur) est entrée en vigueur en France le 1er janvier 2019. Elle s’inscrit dans une démarche de recyclage des bateaux ainsi que du développement de l’économie circulaire. Et certaines entreprises saisissent ce créneau ! Pour les intéressés, une bonne vision d’ensemble se trouve sur le site de l’APER [Association pour la Plaisance Eco-Responsable ndr.], qui correspond à la filière de déconstruction des bateaux de plaisance. Aujourd’hui, 100 sociétés sont enregistrées à l’APER et il existe 26 centres de déconstruction. L’objectif est d’aboutir au plus vite à 40 centres de déconstruction dont 2 aux Antilles.
Comment se déroule la déconstruction d’un bateau ?
Nous avons pu discuter avec le directeur commercial des Recycleurs Bretons qui nous a expliqué le processus de recyclage des bateaux. Chez eux, la déconstruction est scindée en deux entités : Navaleo pour les bateaux de plus de 24m et Les Recycleurs bretons pour les navires plus petits. Pour ces entités inférieures à 24m, il existe plusieurs sites de déconstruction. Les propriétaires peuvent les amener là-bas ou l’entreprise vient les chercher sur place. Pour le moment, 90% des arrivées se font par transport routier, et l’entreprise opère en Finistère, Côte d’Armor, Morbihan, et sur certaines opérations jusqu’en Ille-et-Vilaine.
Une fois la prise de contact effectuée, la déconstruction se déroule comme suit : Les propriétaires sont tout d’abord invités à vider le bateau au maximum. Puis, si l’entreprise va chercher le bateau, le chauffeur effectue une première vérification pour déterminer la présence de produits dangereux (huile, carburant, fusée de détresse). Lors de l’arrivée du bateau sur site, un deuxième contrôle est fait et les cuves (eau noire, eau grise, etc.) sont vidées.
Tous les déchets valorisables sont ensuite récupérés. Les métaux sont extraits et triés. Le bois génère du bois énergie. Et pour la résine, il est possible de l’inclure en granulé dans du CSR [il s’agit d’un amalgame de déchets avec un fort pouvoir calorifique ndr.]. Le CSR est ensuite utilisé dans le nord de l’Europe ou dans certaines cimenteries comme combustible. Parmi les différents déchets, il semble que le matériau le plus dur à recycler est le kevlar. Heureusement, la quantité présente sur les bateaux de plaisance reste minime.
Les Recycleurs bretons revalorisent les bateaux depuis déjà 12 ans. A l’époque, ces revalorisations étaient facturées aux propriétaires pour un coût de plusieurs milliers d’euros en fonction du poids. Depuis la mise en place de l’APER, ces démantèlements sont gratuits pour le propriétaire. 3500 épaves ont ainsi été revalorisées depuis le début du processus, augmentant de 60% l’activité de recyclage des bateaux. C’est un bon début qui va devoir se concrétiser pour venir à bout des 25 000 épaves présentent sur les côtes métropolitaines ; un chiffre qui augmente de 3000 unités supplémentaires chaque année.
Encore une fois, la situation environnementale vis à vis de la déconstruction n’est pas la même, selon les bateaux. Du côté des cargos, nous sommes encore dépassés par la situation, du moins dans un format légal et organisé au niveau international. Fort heureusement, la plaisance a déjà fait ses premiers pas dans une bonne direction. Espérons que le reste du monde maritime suivra.
Bien sûr, cette évolution est importante pour notre planète. Mais elle l’est d’autant plus pour nos frères et sœurs qui travaillent dans des chantiers de déconstruction non réglementés.