Un monde sans requin est-il envisageable ?

1975 : le monde découvre, incrédule, un film – spectaculaire et génial – qui va nommément indiquer à l’homme quel est le prédateur absolu, l’ennemi qui peut renverser l’histoire de notre évolution (et de notre domination). Ce film, c’est « Jaws », « les dents de la mer » en français, le chef d’œuvre de Steven Spielberg. Et l’ennemi de l’humanité, c’est le grand requin blanc, une magnifique machine tueuse qu’il faut donc anéantir. Parce que, sans requin, le monde serait forcément plus beau…

Depuis la sortie du film, soit une cinquantaine d’années, près des trois quarts de la population de requin a disparu (voir l’étude ici). Bien sûr, « Jaws » n’est pas responsable de cette hécatombe. La surpêche et la pollution explique ce massacre organisé. Mais le film est bel et bien à l’origine du malentendu qui existe entre 535 espèces : l’homme d’un côté et les 534 espèces de requins répertoriées de l’autre…

« Jaws », le chef d’œuvre de Steven Spielberg. Un film culte qui depuis 50 ans donne une image faussée des requins.
« Jaws », le chef d’œuvre de Steven Spielberg. Un film culte qui depuis 50 ans donne une image faussée des requins.

Car oui, il existe plus de 500 espèces de requins. On les trouve dans toutes les mers du monde, sur nos côtes, dans les eaux tropicales et même dans les eaux polaires. Certains requins peuvent même vivre en eau douce.

A propos du monstre sanguinaire que serait le requin, il convient quand même de rappeler que plus de la moitié des 534 espèces de requins mesurent moins d’un mètre. Et si vous vous trouvez nez à nez avec un requin de plus d’1,60 m, c’est que vous êtes face à un représentant de l’une des rares espèces de requins dépassant cette taille. Et oui, le grand requin blanc existe bel et bien, mais seule une centaine d’espèces de requin peut dépasser le mètre soixante… Pour en finir avec les chiffres, le plus petit des requins mesure 15 cm et le plus grand 14 m (le requin baleine, totalement inoffensif).

En finir avec les préjugés

Chaque année, on déplore environ 80 morsures de requins dont sont victimes les humains dans le monde. Une dizaine de ces « attaques » est mortelle. « Comparaison n’est pas raison »,  mais ce nombre de morts est équivalent à celui des décès recensés sur les pistes de skis françaises chaque année. D’après le système national d’observation de la sécurité en montagne (SNOSM), il y a eu 14 morts sur le domaine skiable français entre décembre 2020 et avril 2021. Et 37 morts dans des avalanches… De là à dire que skier est plus dangereux que de nager dans les mers, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Même s’il est certain que nous sommes plus nombreux à nous baigner dans des eaux fréquentées par des requins (tous les océans du monde) qu’à arpenter les domaines skiables des stations françaises…

François Sarano : « Au nom des requins »
Si vous voulez avoir une meilleure idée de ce que sont vraiment les requins, nous vous conseillons le livre de François Sarano : Au nom des requins. Passionnant…

Pour en revenir aux requins, les « attaques » sont donc très peu nombreuses. La plupart du temps, le requin tente de « goûter » une proie qui s’aventure dans son domaine. Si la déchirure est importante, l’homme risque une hémorragie et donc… la mort. C’est ce qui arrive une dizaine de fois par an. Les attaques avec un requin qui dévore totalement sa proie humaine sont, en revanche, extrêmement rares.

Pour avoir souvent nagé avec des requins (et même avoir emmené mes enfants en plongée pour leur faire découvrir ces magnifiques animaux), il n’y a pas de véritable danger si on respecte quelques règles de bases, comme avec tous les animaux sauvages.

Les animaux les plus mortels

Car oui, venir sur le territoire d’un animal sauvage n’est pas sans danger. Et c’est bien sûr le cas pour les requins. Mais attention aussi aux dauphins, aux orques, aux éléphants, aux serpents, etc.

Si on en croit les chiffres officiels, l’animal le plus mortel pour l’homme est… le moustique. Plus de deux millions de morts par an dans le monde pour cet animal, vecteur de maladies mortelles comme le paludisme. Suivent les serpents (100 000 morts par an dans le monde), les scorpions (5 000 morts), les éléphants (600 morts), les abeilles (400 morts), les lions (200 morts), les méduses (100 morts), etc.

Et tout cela sans s’attarder sur le plus grand prédateur du monde : l’homme ! Il tue chaque année plus de 1 380 milliards d’êtres vivants pour son alimentation et son plaisir, dont 94% d’animaux aquatiques (dont des dizaines de millions de requins…).

Un monde sans requin

Les chiffres sont cruels : le requin n’est pas le prédateur monstrueux décrit par « Les dents de la mer » mais plus d’un tiers des espèces de requins sont en danger critique d’extinction.

Requin et coraux
A voir et à revoir avant d’aller en mer…

Pourquoi ?

A cause de la pêche pour récolter leurs ailerons, de ce que les marins professionnels appellent les « captures accessoires », ces poissons non ciblés par les pêcheurs, mais qui sont remontés par les filets et enfin par le fait que le requin ressemble étrangement à l’homme. Il a une fécondité très faible – il fait peu de petits – il a une longue vie (en théorie) et une maturité sexuelle tardive… Du coup, il est quasiment impossible de refaire « du stock » même quand on le protège. Si demain on interdisait totalement la pêche des requins, il faudrait des décennies pour retrouver une population égale à celle d’il y a 50 ans !

Pour ou contre un monde sans requin ?

La vie sans requin serait plus agréable pour certains habitants de la Floride (c’est là que l’on a répertorié les plus d’attaques), de l’Australie ou de l’Afrique du Sud… Mais la disparition des requins entrainerait obligatoirement un déséquilibre. Le requin est un super-prédateur. En tant que tel, il régule notamment les populations de petits poissons. Par exemple, certaines ONG prétendent que la disparition des requins explique par exemple – au moins en partie – la prolifération des poulpes en Nouvelle-Zélande. Et ces poulpes devenus trop nombreux dévorent les langoustes qui, du coup, disparaissent ainsi peu à peu du paysage.

Le cercle vicieux est donc déjà enclenché…

Alors oui, il faut protéger les requins. Interdire la pêche aux ailerons, mais aussi réguler les systèmes de pêche qui en font des « prises accessoires » et donc des dégâts collatéraux. Il faut protéger ces squales, parce qu’ils sont indispensables à l’équilibre de nos océans (dont nous sommes terriblement dépendants), parce qu’ils ont survécu à tout depuis 400 millions d’années et parce que, quoiqu’en disent de nombreux films hollywoodiens, nager en compagnie des requins, c’est vraiment un moment magique.

Pour aller plus loin : Voir notre article en soutien à l’opération « Stop Finning ».

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