Eté 2020, L’Europe sort enfin de plusieurs semaines de confinement liées à la pandémie du Covid 19. C’est au même moment qu’un groupe d’orques commence à avoir des comportements inhabituels avec des bateaux de plaisanciers du côté du détroit de Gibraltar. Rapidement, les médias du monde entier s’intéressent à ce qu’ils appellent « des attaques ». Retour sur une situation qui pourrait rapidement devenir dangereuse… pour les orques !
Des histoires aussi anciennes… que les navigations !
Depuis que l’humain navigue sur les mers du monde entier, il a pris l’habitude de voir des animaux marins venir s’approcher des bateaux. Dauphins, baleines, requin-baleines, orques et même pieuvres géantes peuplent les livres de mer de rencontres plus ou moins joyeuses, festives ou… dangereuses.
Les rencontres et interactions entre animaux peuplant la mer et les bateaux des hommes sont donc monnaie courante. Seulement voilà, si les dauphins sont aujourd’hui adorés et les baleines maintenant protégées, les orques – ou épaulards – traînent, eux, une réputation d’animaux sanguinaires et dangereux. Il faut dire que l’Orcinus Orca est grand (les mâles peuvent mesurer jusqu’à 10m et peser 9 tonnes) et il est surtout ce qu’on appelle un superprédateur. Une fois l’âge adulte atteint, rien ni personne (à par l’homme) n’est en mesure de lui faire du mal. L’orque est capable de s’attaquer à tout ce qui vit dans l’eau pour se nourrir. Les images – sauvages – d’orques attaquant des phoques paisiblement allongés sur la plage et les dévorant d’une bouchée avant de repartir en mer avec leur proie, montre la puissance, la force et l’intelligence de cet animal extraordinaire.
Mais ce qui a fait beaucoup de tort aux orques, c’est la littérature et le cinéma. Dans leurs récits du XVIIIe et XIXe siècle, les baleiniers ont ainsi souvent décrit les orques comme des animaux violents et des tueurs sanguinaires. Il faut dire que baleiniers et orques chassaient les mêmes proies… Quant au cinéma, le film Orca a fini d’établir la réputation de celles qu’on appelle les « killer whales », les baleines tueuses, en anglais !
Mais l’orque n’est pas qu’un extraordinaire prédateur. Ce qui rend cette espèce passionnante à étudier, c’est son organisation sociale : l’orque vit en groupe, chaque « famille » ayant son répertoire acoustique propre pour communiquer. Chaque groupe met aussi en place des techniques de chasse, qui vont être très différentes selon leurs lieux de vie. Communication et organisation précises régissent donc les différents groupes. L’éducation joue aussi un rôle considérable dans chacune des « familles » d’orques. La matriarche a ainsi souvent le rôle de professeur et enseigne les techniques de chasse ou de jeu du groupe aux jeunes…
Des interactions nombreuses et inexpliquées
Revenons aux événements qui ont eu lieu depuis 2020 entre bateaux et orques du côté du détroit de Gibraltar. En trois ans, plus de 500 contacts ou interactions ont été recensés par les autorités. Le schéma est quasiment toujours le même : les animaux s’approchent du bateau – un voilier dans la majorité des cas – par l’arrière et commencent à s’en prendre au gouvernail. Il arrive aussi que les orques soient plus entreprenants et foncent sur la coque du bateau qu’elles percutent avec force. D’après une étude de juin 2022 publiée dans le Marine Mammal Science sur les 500 évènements étudiés, 250 ont eu pour résultat d’endommager les bateaux entraînant le remorquage d’une cinquantaine d’entre eux. Plus grave, trois bateaux ont coulé suite à ces interactions avec les orques… Heureusement, à ce jour, il n’y a pas eu de blessés graves à déplorer.
Reste la question à deux euros : pourquoi ? Pourquoi, depuis trois ans, un groupe d’orques d’une quinzaine d’unités a-t-il décidé de s’en prendre aux bateaux de passage et surtout à leurs gouvernails ? A ce jour, aucune étude ne vient confirmer l’une ou l’autre des théories qui ont fleuries sur les réseaux sociaux, des théories parfois très sérieuses et venant de scientifiques reconnus dans l’étude de ces animaux. Mais voilà, à ce jour, ces théories restent… des théories !
En 2020, les scientifiques avançaient l’hypothèse, qu’après une période de confinement assez longue, le retour d’un trafic maritime, important dans cette zone, avait dérangé les orques. Il s’agit en effet de l’une des zones les plus dense au monde (voir notre article où nous parlions, nous aussi, « d’attaques » – mea culpa).
Et puis la machine s’est emballée : la matriarche du groupe en question (une quinzaine d’orques sur la quarantaine qui peuplent la zone de Gibraltar) est bien connue et très étudiée par les scientifiques. Son nom : White Gladis. C’est elle qui mènerait la « vendetta » contre les navires osant s’aventurer sur son territoire. De nombreux témoignages expliquent en effet que les « attaques » sont menées par une orque adulte qui montrerait la bonne méthode pour immobiliser les navires à des juvéniles. C’est l’apprentissage dont nous parlions plus haut…
L’histoire voudrait qu’en 2020, White Gladis ait été heurtée par l’hélice ou le gouvernail d’un bateau (ou selon les théories ait été coincée dans un filet de pêche). Quoiqu’il soit réellement arrivé, White Gladis aurait été traumatisée par un bateau mené par l’homme. A cette époque, elle aurait même pu être enceinte, ce qui aurait encore augmenté son traumatisme. Bref, pour beaucoup, la matriarche se venge en démolissant les bateaux…
Pour d’autres, la famille de White Gladis en a marre de la pollution, des bateaux qui envahissent son espace vital, du bruit insoutenable perpétré par les moteurs (voir notre article sur la pollution sonore), de la concurrence déloyale des bateaux de pêches qui leur enlèvent la nourriture de la bouche, enfin de l’Homme en général qui ne respecte pas la nature. White Gladis en a marre et a décidé de lancer son combat pour retrouver son territoire en boutant l’Homme hors du détroit de Gibraltar… La rebelle White Gladis est ainsi en train de devenir une icône dans certains milieux !
Orques rebelles ou simple jeu ?
Si toutes ces théories fleurissent un peu partout, c’est que le sujet est porteur : la famille orque qui subit les outrages de l’humain depuis des décennies et qui décide de se venger, ça plait ! On appelle cela l’anthropocentrisme, c’est-à-dire de tout imaginer et comprendre en fonction de la seule perspective humaine. Sauf que… Sauf que rien ne prouve que les interactions entre les orques et les navires ne soient autre chose qu’un jeu.
Et oui.
S’en prendre au gouvernail fait tourner le bateau. Et ça, c’est drôle (mais c’est aussi dangereux pour les orques et les humains à bord des bateaux). On en revient aux très nombreuses interactions entre orques et bateaux référencées depuis longtemps et un peu partout dans le monde. Les orques apprennent et aiment s’amuser avec les bateaux…
Alors oublions l’histoire de White Gladis qui cherche à se venger des humains et qui apprend aux jeunes à couler leurs bateaux. Ni les orques ni la nature ne nous envoient de message pour nous avertir que nous avons dépassé les bornes (on le sait depuis longtemps). La réalité est sûrement plus prosaïque : nous empiétons de plus en plus sur le vivant.
La preuve ? Mi-août un catamaran qui naviguait dans la zone à risque a vu des épaulards se diriger vers lui. L’équipage a alors sorti des armes à feu et a tiré sur les orques, filmé par un bateau de la Sea Shepherd qui était à côté.
Quelles solutions ?
Tuer la quinzaine d’orques du groupe de White Gladis sur les 39 Orcinus Orca vivant encore en liberté dans cette zone pourrait effectivement faire cesser les « attaques ». Économiquement parlant, cela pourrait même permettre d’éviter les coûts importants de réparation des bateaux abîmés et faire revenir les bateaux en escale qui fuient la zone depuis trois ans. Certains des skippers professionnels que nous avons pu contacter pour cet article nous ont confirmé être face à un dilemme insoluble.
Passer Gibraltar est devenu une vraie préoccupation : comment passer le territoire de White Galdis sans se retrouver avec un bateau abîmé ou, encore pire, immobilisé le temps de la réparation ? Un skipper professionnel se doit d’amener son bateau en parfait état. Alors certains n’hésitent pas à embarquer des fusées ou autres armes pour faire fuir les orques qui tenteraient de s’approcher d’un peu trop près. Mais, est-ce vraiment une solution ? Les orques qui pourraient alors être blessés ne vont-ils pas s’acharner sur le bateau agresseur ? Et surtout est-ce le monde que nous voulons laisser à nos enfants ?
Le mystère du comportement de White Gladis et de son groupe reste, pour le moment, entier. Il pose de nombreuses questions qui sont toujours sans réponse et est un danger pour la navigation de plaisance dans cette zone très fréquentée.
Les autorités se limitent à maintenir un statu quo en proposant un protocole pour tenter d’éviter le pire en cas de contact avec les orques (mis en place par le GTOA – Groupe de Travail sur les Orques de l’Atlantique). En effet, les interactions se passent quasiment toujours de la même manière : les animaux s’approchent du navire par l’arrière. Ils examinent la coque en détail puis frappent le gouvernail ce qui, systématiquement, fait tourner le bateau. Plus le bateau va vite, plus les orques doivent taper fort sur le gouvernail pour obtenir l’effet recherché. C’est dans ce cas que les dégâts pour le navire peuvent être importants.
Pour limiter la casse, il faut donc arrêter le bateau et affaler les voiles en cas de rencontre avec les orques et attendre que les animaux se lassent et s’en aillent… Les armes à feu, pétards et répulsifs sonores de tous types sont officiellement à proscrire pour éviter de blesser les animaux. Mais, comme nous l’avons vu, certains équipages n’hésitent pas à utiliser ces artifices pour faire fuir les orques.
Pour l’instant, il n’y a pas eu de blessé ni du côté des équipages, ni du côté des orques. Pour l’instant…