Le jour où la mer sera trop chaude

Les mers sont en surchauffe. Les records s’enchaînent, comme en cet été 2024 où la Méditerranée a atteint des sommets, frôlant les 29°C en température médiane quotidienne. La mer est chaude, très chaude, mais ce n’est pas, même pour les vacanciers, une bonne nouvelle…

Des records de chaleur pour la mer Méditerranée mais…

28,71°C en 2023, 28,9°C en 2024. Les records de température médiane en surface sont battus les uns après les autres et pas qu’un peu. Pour donner un ordre de grandeur, l’année 2003 reste exceptionnelle avec une canicule particulièrement violente. Cette année-là, la Méditerranée atteint une température record avec un 28,25°C en surface de température médiane. Un record qui va tenir 20 ans, mais qui est aujourd’hui explosé de 0,65°C. Ca vous parait peu ? C’est pourtant énorme et ce record – aussi important soit-il, n’est qu’un signal d’alerte pour une situation bien plus inquiétante. 

Plage bondée de touristes
Des eaux plus chaudes: une aubaine pour les touristes ? (Photo : Pexel – Jess Loiterton)

La température moyenne de la Méditerranée a augmenté d’environ 1,2 °C au cours des 40 dernières années, d’après Federico Betti, expert en espèces invasives à l’université de Gênes. Dans un scénario – aujourd’hui bien improbable – d’un réchauffement mondial à « seulement » 1,5°C depuis l’ère préindustrielle, les scientifiques du GIEC estiment (ils ne se sont jamais trompés sur leurs prospections depuis 30 ans) que plus de 20% des poissons et invertébrés de Méditerranée orientale pourraient disparaître d’ici 2060 (voir aussi notre article ICI).

… Tous les océans touchés par des températures anormalement élevées

La Méditerranée surchauffe, mais elle n’est pas seule dans ce cas, tous les océans connaissent le même phénomène. Ainsi, chaque jour, entre le 13 mars 2023 et le 15 juillet 2024 le record de température quotidienne des océans (entre le 60° Nord et le 60° Sud) a été battu. 489 jours de records ininterrompus. Le 16 octobre 2024, cette température des océans en surface était encore de 20,83°C. Supérieure de 0,62°C par rapport à la moyenne de 1991 à 2020 et de plus 0,77°C sur la période de 1982 à 2010… Le dernier record absolu date du 25 avril 2024. La température en surface des mers et océans situés entre les 60° Nord et 60° Sud était ce jour-là de 21,16°C. 0,84°C de plus que la température moyenne pendant la période allant de 1982 à 2010.  

Courbes des températures des mers et océans
Vous voulez prendre peur ? Les deux courbes qui trônent en haut de ce graphique sont les températures des océans en 2023 et 2024. Les courbes en pointillées sont les moyennes de 1191 à 2020 et de 1982 à 2010…

Et pourtant, absolument tous les scientifiques spécialisés le disent et le répètent depuis 30 ans au moins : les océans sont un puit à carbone indispensable pour lutter contre le réchauffement climatique et nous permettre de survivre sur une planète qui connaît des bouleversements inédits par leur intensité et leur rapidité.

Des canicules marines qui posent problèmes

Les scientifiques du CNRS expliquent particulièrement bien l’importance des océans dans l’équilibre de notre planète mais aussi les inquiétudes face à un dérèglement de ses températures :

« L’océan est un important puits de carbone, capable de capturer le CO2 atmosphérique grâce au couplage de deux phénomènes, physique et biologique. Il séquestre ainsi près de 30 % du CO2 émis par les humains. De nombreux aspects du processus biologique, très complexe, restent méconnus et les scientifiques tentent d’en percer les secrets grâce à des campagnes océanographiques et le déploiement d’instruments autonomes. Dans ce contexte, difficile pour eux de prédire comment le changement climatique va influencer cette pompe à carbone et quels effets cela aura sur le cycle global du carbone ».

30% du CO2 captés par les océans ? Quand on voit ce que nous subissons en termes de changements climatiques depuis l’ère préindustrielle – dus, rappelons le, à l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère -, on n’ose imaginer ce qui adviendrait de notre climat si les océans n’absorbaient, ne serait-ce, que quelques % en moins de ce CO2

Coraux blanchis car mer trop chaude
La température de l’eau bouleverse la faune et la flore comme les coraux, pourtant lieu de vie essentiel pour de très nombreuses espèces… (Photo Pexel – Jeremy Bishop)

Canicules sans fins, incendies monstres, déluges, crues, records de températures, phénomènes météos hors-normes, nous voyons les effets, maintenant au quotidien, du dérèglement climatique. Et nous pouvons facilement imaginer ce que son accentuation pourrait signifier. Mais ce qui est difficile à imaginer, c’est ce que les canicules marines risquent d’avoir comme effet sur notre vie quotidienne.

Une hécatombe de la biodiversité ?

Une eau chaude, trop chaude et les espèces qui vivent dans ces océans se retrouvent en difficulté et… en grave danger d’extinction. On ne parle en effet pas d’une eau à peine plus chaude. Les eaux de la Méditerranée ont été, en moyenne, 4°C plus chaudes que la moyenne cet été. 

Et qu’est-ce qu’une canicule marine ? Un épisode de chaleur inhabituel – la température en surface est supérieure à la moyenne sur une période donnée – qui dure plus de cinq jours. Cette eau en surchauffe stagne sur un écosystème, faune et flore. Certains animaux peuvent fuir cette eau trop chaude pour eux. C’est comme ça que certains poissons tropicaux (barracudas, langoustes, poissons-lions…) se retrouvent dans les eaux méditerranéennes françaises. Un problème car certains de ces poissons entrent en compétition avec les espèces autochtones et prennent leur place dans une chaîne alimentaire bouleversée. 

Ceux qui peuvent bouger s’enfuient, mais d’autres n’ont d’autres choix que d’essayer de supporter cette chaleur et… meurent. La hausse des températures entraîne une baisse de la quantité d’oxygène dans l’eau ainsi qu’une augmentation de l’acidité. Les herbiers marins, les récifs coralliens et les forêts de laminaires (les grandes algues brunes) sont les premières victimes de ce réchauffement. En 2022, 90% des gorgones rouges de Méditerranée ont ainsi disparu alors qu’elles représentent un lieu de vie essentiel pour de nombreuses espèces. 

Et si les poissons meurent, c’est toute la vie économique de la région qui va être transformée. Dans le dernier rapport du GIEC on a ainsi pu lire que les revenus de la pêche pourraient baisser localement de 30% en Méditerranée d’ici 2050.

Et si notre « clim » s’arrêtait ? 

Une étude récente parue dans Scientific Reports démontre que la hausse des températures des océans entraîne des phénomènes météos plus violents et plus nombreux. A tel point que certains spécialistes militent pour ajouter une 6e catégorie à l’échelle d’intensité des ouragans qui en compte 5 aujourd’hui – la catégorie 5 regroupant les cyclones avec des vents dépassant 249 km/h. Mais le risque de voir des cyclones avec des vents dépassant les 300 km/h n’est plus, aujourd’hui, utopique !

Barracudas en mer méditerranée
Des barracudas sur les côtes françaises de Méditerranée, c’est maintenant une réalité… (Photo: Pexel – Leonardo Lamas)

Vous en voulez encore ? Le réchauffement des océans pourrait – selon une étude parue dans la revue Geophysical Research Letters, entraîner le déclin, voire l’arrêt du Gulf Stream. Ce courant océanique qui suit la côte sud et nord-américaine serait en déclin (4% de transport d’eau en moins depuis 40 ans). Or, le Gulf Stream agit comme un régulateur thermique qui, en ramenant de l’eau chaude tropicale vers l’Arctique assure un climat tempéré à la côte Européenne (il fait en hiver 15°C de plus en moyenne en Bretagne que sur la côte Est du Canada, pourtant à la même latitude). Il nous permet, en gros, de ne pas mourir (au sens propre) de froid !

Le fait que l’eau de la mer où nous passons nos vacances soit un peu plus chaude n’est donc pas du tout une bonne nouvelle… Et il est temps d’en prendre conscience !

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