Fortune de mer

SEAtizens est avant tout un lien entre ceux qui aiment la mer et ceux – et ils sont nombreux – qui mettent en place des actions pour la préserver, la sauvegarder. 

Elodie Arrault et Dominique Bleichner ont lancé une opération baptisée « Fortune de mer » dont le but est de nettoyer de sa pollution plastique la magnifique et exceptionnelle réserve naturelle du Parc National du Banc d’Arguin en Mauritanie. Une première mission d’évaluation a eu lieu en décembre 2018. La mission à proprement parler va maintenant pouvoir démarrer. 

Voici l’initiative du mois : « Fortune de mer ».

Texte et photos : Elodie ARRAULT et Dominique BLEICHNER

Fortune de mer

Pollution Plastique, pourquoi y a-t-il urgence à se mobiliser?

En 1976, à l’initiative du français Théodore MONOD, la Mauritanie prend une décision exemplaire et unique, celle de sanctuariser un tiers de son littoral en créant le Parc National du Banc d’Arguin (PNBA). Cette réserve ornithologique de 12 000 km2 est la plus grande d’Afrique de l’Ouest. Inscrite au Patrimoine Mondial de l’UNESCO en 1989, les bateaux à moteurs et la pêche industrielle y sont interdits. Seules 114 lanches, voiliers traditionnels, sont autorisées à y naviguer.

Attirés par cet espace sauvage dont la ressemblance est frappante avec son petit frère français, le Banc d’Arguin du bassin d’Arcachon, nous nous sommes rendus en décembre 2018 sur les rivages des îles du Parc pour y admirer les flamants roses, spatules et sternes qui s’y retrouvent sur le chemin de leur migration et plus généralement y savourer la tranquillité des lieux. 

Lors de notre séjour, nous découvrons un paradoxe, une hérésie même, celle de voir une aire dite « protégée » que les plastiques envahissent, comme presque partout ailleurs sur la planète.  Révoltés d’y avoir vu les flamands roses les pieds dans les déchets, de retour en France, nous prenons contact avec la Direction du Parc National du Banc d’Arguin et proposons de monter une action de ramassage des déchets le long des plages, dans les îles et dans les villages de pêcheurs Imraguen.

Le Parc accepte cette proposition et ensemble, ils préparent une mission pilote pour mesurer l’étendue de la pollution, ramasser les déchets plastiques sur des zones identifiées comme prioritaires, mesurer les conditions de mise en œuvre d’éventuelles futures missions de ramassage et plus généralement proposer des mesures de gestion des déchets pour le Parc National du Banc d’Arguin. 

Le projet est né et baptisé « Fortune de mer » !

10,3 tonnes de déchets ramassés en moins de 3 semaines.

L’opération pilote est menée en aout 2019. L’équipe est constituée d’une dizaine de personnes (famille et amis) et d’une dizaine de salariés volontaires du Parc. 10 journées de ramassage ont permis de se consacrer à 15 sites de collecte. 1435 heures de collecte ont été comptabilisées et 17,5 km de côte nettoyés. 1835 sacs poubelle ont été remplis, ce qui représente 10,3 tonnes de déchets ramassés ou encore 87 000 déchets. 

Avec parfois de longues (et agréables !) heures de navigation pour atteindre les iles, l’expérience est forte, pour les enfants comme pour les adultes. Les îles d’Arel, Iwik, Zira, Nair, Nairoumi sont nettoyées ainsi que les abords des villages d’Iwik, de R’Gueiba, de Teichott et de Mamghar.

Nettoyer une aire protégée est un objectif atteignable.

Le premier apport de cette mission est de permettre de mettre un chiffre sur l’ensemble de ce que représente la pollution sur cette aire protégée et surtout de constater que l’objectif de nettoyer cette aire dans sa totalité est atteignable. En effet, les 17,5 Km de côtes nettoyées représentent 3,6% du total des 500 Km de littoral (iles comprises) du Direction du Parc National du Banc d’Arguin (PNBA). Il faudrait ainsi approximativement 30 missions similaires pour nettoyer l’ensemble du littoral du parc. Au total, on peut estimer le tonnage des déchets du littoral (hors ceux existant déjà dans les décharges) à 300 tonnes de déchets (5700 m3), soit encore 2,5 millions de déchets.

Interdire les petites bouteilles et les flotteurs fait main.

Le 2e apport de la mission pilote du projet « Fortune de mer » est de définir des solutions concrètes et simples pour changer les modes de consommation des résidents et les usages des pêcheurs. En effet, pour moitié, ces déchets sont des bouteilles plastiques, généralement 75 cl, et pour moitié des « flotteurs » de pêcheurs, faits manuellement avec des morceaux de polystyrène reliés par des cordelettes en polypropylène. La pollution, très majoritairement amenée par les vents, est concentrée sur ces deux usages. Notre proposition est d’interdire la production, la vente et l’utilisation de bouteille de plastique à usage unique de moins de 5 litres et l’utilisation de flotteurs autres que des flotteurs homologués (dont il serait souhaitable de sponsoriser la filière) qui résisteront plus facilement à la mer.

Ne pas attendre que les déchets se sédimentent.

Le 3e retour d’expérience de cette action, est qu’il y a urgence à se mobiliser autour du ramassage des déchets plastiques dans les zones difficiles d’accès car les déchets se sédimentent. Ils s’enterrent progressivement et deviennent avec le temps, friables et donc impossible à enlever. Dans de nombreux cas, nous avons dû couper des cordelettes qui reliaient les flotteurs car trop profondément enfouies dans le sable. Autre exemple, les mangroves sont de vrais nids à plastique. Ils s’y accumulent et sont progressivement recouverts par les racines. C’est parfois en entendant le bruit que nous faisons en marchant sur des bouteilles enfouies que nous réalisions leur présence.

Se mobiliser à l’échelle mondiale pour le nettoyage des aires protégées.

Enfin, cette mission pilote met l’accent sur de graves questions encore sans réponses : il n’y a pas à l’échelle de la planète de solution industrielle mutualisée pour se débarrasser du plastique dans les zones difficiles d’accès et en particulier dans les aires protégées. Bruler les déchets plastiques engendre des dangers pour les populations et pour l’environnement. Les conserver les expose au risque qu’un coup de vent les emporte à nouveau. Si les plages du Banc d’Arguin sont encore très loin de présenter la même concentration de plastiques que celle observée en Asie, la Mauritanie, a contrario n’est pas un exemple facile, car elle fait partie des pays qui ne possèdent pas d’usine d’incinération. Il faudrait donc trouver des solutions au Maroc, au Mali ou au Sénégal, mais transporter du plastique, donc aussi de l’air, génère à nouveau de la pollution … Plus généralement, grâce à ce projet, nous avons pu faire un tour du monde des propositions existantes pour dépolluer notre planète dans les zones isolées ou difficile d’accès et elles ne sont pas légion.

Pas de fatalité 

Cette action pilote, aussi minime soit-elle, nous a enseigné qu’il n’y a pas de fatalité, ni sur nos habitudes de consommation, ni sur notre capacité à nettoyer des plages, aussi polluées soient elles. Elle nous a donné un repère, celui de comparer la mesure de notre « consommation plastique vie » à nos capacités individuelles de ramassage et d’être ainsi chacun en mesure de nous dire « voilà le temps qu’il me faut pour ramasser par exemple 1 tonne de déchet ». Cette vertu pédagogique nous incite à prendre conscience de ce rapport entre notre pollution personnelle et le temps de ramassage correspondant.

Cette opération a accentué notre conscience aigüe de la beauté sauvage de ces lieux et du potentiel touristique qu’il représente pour des personnes qui recherchent la rupture avec nos sociétés trop agitées et assourdissantes. Le projet nous a permis de donner du sens à nos vacances et nous espérons qu’il contribuera à motiver de prochains volontaires, nous vous en reparlerons bientôt. Ils sauront apprécier le cadeau qui nous est fait de pouvoir évoluer dans ces écrins. Sachons les préserver !

Un nouvel objectif pour l’été 2021 : les poissons GOBIES !

En avril 2021, le projet est relancé avec un objectif concret à court terme : doter chaque village du PNBA d’un poisson / oiseau « GOBIE », à l’effigie des principales espèces animales du PNBA. 

Née en France il y a quelques années, cette idée de créer des poubelles géantes en forme de poisson, se développe partout dans le monde et trouve particulièrement bien sa place au PNBA où elle va être déclinée de manière originale. Ces formes rappelleront aux villageois et aux touristes la conscience et l’engagement citoyen que nous prenons tous collectivement de protéger la richesse de notre biodiversité, en nourrissant ces formes avec des déchets plastiques trouvés plutôt qu’en laissant ces déchets aux pieds de la faune de la réserve. Ce projet est également doté d’une intention artistique, chaque forme étant réalisée par une artiste de Nouakchott, impliquée par ailleurs dans la cause environnementale. 

Enfin, à terme, ce projet ouvrira la voie à une réflexion et à la mise en œuvre d’un système d’acheminement régulier des déchets plastiques de ces poissons / oiseaux gobie vers des déchetteries…

Si cette initiative vous intéresse, vous pouvez aider « fortune de mer » à financer la construction de ces poissons Gobie via ce lien Hello Asso.

Pour info, le coût de chaque poisson GOBIE est de 350 euros.

Partager sur :

AUTRES ARTICLES