Naviguer sur un voilier écolo : fantasme ou réalité ?

Peut-on imaginer être plus en accord avec la nature que lors d’un voyage en voilier ? Et pourtant, les navires d’aujourd’hui ont encore beaucoup de chemin à parcourir pour devenir écologiquement performants…

Pendant le Vendée Globe, navigant au bout du monde, Clarisse Crémer découvre l’ampleur de la pollution… A son retour, elle lance un véritable cri d’alarme… (Photo: Banque Populaire)
Pendant le Vendée Globe, navigant au bout du monde, Clarisse Crémer découvre l’ampleur de la pollution… A son retour, elle lance un véritable cri d’alarme… (Photo: Banque Populaire)

SEAtizens s’est fait l’écho ces derniers temps d’une réalité qui n’est pas sans faire frémir les passionnés de mer et de voyages que nous sommes : notre petite planète bleue souffre… Pollution, dérèglement climatique, banquise en sursis, folie consumériste dans une petite île du Pacifique, les exemples ne manquent pas pour évoquer la spirale infernale dans laquelle nous nous sommes engouffrés et les conséquences désastreuses qu’ils impliquent. 
La situation est grave et rares sont ceux qui, aujourd’hui, continuent à nier l’évidence. 
En rentrant de son Vendée Globe, à peine arrivée sur les pontons des Sables d’Olonne, la navigatrice Clarisse Crémer a ainsi exprimé son inquiétude : « On se sent un peu perdu (…) dans l’immensité des éléments lorsqu’on est au milieu du Pacifique. On se demande un peu ce qu’on fait là et on se rend compte à quel point la nature est puissante et sublime. Et en même temps, on se dit que ce n’est pas si grand que ça. (…) Tu es au milieu de nulle part et tu croises une bouteille de lessive en train de flotter, un baril de pétrole en train de rouiller. C’est assez choquant. Tu ne vois aucun signe de civilisation pendant trois mois sauf ça… »
Les skippers du Vendée Globe restent des pionniers. Ils naviguent là où personne ne va et ils y voient des choses qui ne nous sont pas accessibles. Cette année encore, une dizaine de skippers avait emmené des instruments d’observation permettant d’en savoir plus sur la pollution de ces mers lointaines… 
Mais même alors qu’ils naviguent à la voile pour faire le tour du monde, ces bateaux ne sont pas – loin s’en faut – aussi « vert » qu’il le faudrait (voir notre article sur l’écologie dans la course au large)
Mais alors, si ceux qui font le tour du monde en 80 jours, sans escale et avec seulement quelques litres de fioul ne sont pas « écolo », qu’en est-il de nous, pauvres plaisanciers obligés de faire tourner nos moteurs tous les jours et qui avons à bord, un confort comme à la maison ?

Plus grands, plus larges, plus lourds, plus équipés…

Un bateau moderne (ici un Lagoon Seventy Seven) offre un confort souvent meilleur que dans la plupart des maisons… Mais au prix d’une consommation d’énergie colossale ! (Photo : Nicolas CLaris - Lagoon)
Un bateau moderne (ici un Lagoon Seventy Seven) offre un confort souvent meilleur que dans la plupart des maisons… Mais au prix d’une consommation d’énergie colossale ! (Photo : Nicolas CLaris – Lagoon)

Il est certain que depuis le début des années 2000, les grands bateaux se sont énormément développés. Si l’on se réfère aux chiffres officiels, les bateaux de plus de 8 m vendus neufs en France sont passés de 73 090 à 97 669 entre 2003 et 2020, soit une augmentation de 33%… Les seuls bateaux de plus de 12 m sont eux passés de 12 471 à 18 944 sur la même période, soit une augmentation de… 52% !
Si les grands bateaux sont plus nombreux, ils sont aussi plus larges, plus lourds et beaucoup plus équipés.
Et cette longueur, ce poids et cet équipement « comme à la maison » ont un coût. Financier, bien sûr, mais aussi écologique. 
Prenons un exemple concret : sur un bateau de charter de 24 m qui serait lancé aujourd’hui, il faudrait prévoir – selon le cabinet d’architecture navale VPLP – entre 600 A et 1 000 A de consommation quotidienne en version confort maximum. Enfin, quand on dit en confort « comme à la maison », encore faudrait-il rajouter le matériel AC (type lave-linge, dessalinisateur…) qui fonctionneraient sur convertisseur(s) 5 000 W pendant les nombreuses heures quotidiennes nécessaires à la recharge des batteries grâces au(x) générateur(s)…
Et oui, c’est énorme.
En comparaison, l’un des SEAtizens avait, dans les années 80, construit un bateau de charter en Turquie d’une taille équivalente et avec lequel il écumait les eaux de la Méditerranée. A bord, une dizaine de personnes, équipage compris. Pour fournir l’énergie à bord, le fringant capitaine pouvait compter sur… deux batteries et une éolienne ! Largement de quoi éclairer chacune des cinq cabines avec une ampoule, mais guère plus. Et pourtant Harvest était bien l’un des fleurons de la flotte de charter à l’époque.
En 40 ans, si le monde a bien changé, la manière de naviguer et la notion de confort à bord se sont, elles, totalement métamorphosées.

Dans les années 80, “Harvest” a fait le bonheur de nombreux vacanciers découvrant la plaisance. A bord, l’énergie était pourtant comptée, avec deux batteries en tout et pour tout… (Photo : Denis Cressant)
Dans les années 80, “Harvest” a fait le bonheur de nombreux vacanciers découvrant la plaisance. A bord, l’énergie était pourtant comptée, avec deux batteries en tout et pour tout… (Photo : Denis Cressant)

De bons élèves…

Mais attention, loin de nous l’idée de prétendre que « c’était mieux avant… ». Les bateaux modernes offrent une sécurité sans commune mesure avec les navires d’il y a 40 ans. Ils sont mieux construits, plus solides, vont plus vite, sont plus faciles à mener, et leur empreinte écologique est bien plus prise en compte aujourd’hui qu’hier. La preuve ? Depuis 2019 il existe en France une Association pour une Plaisance Eco Responsable (APER), un organisme créé par l’État pour assurer la déconstruction des bateaux de plaisance. 
Les chiffres sont pour l’instant certes modestes, mais 2 200 bateaux ont été « déconstruits » depuis septembre 2019, dans l’un des 25 centres agréés. Évidemment, si l’on compare au plus de un million de bateaux immatriculés en 2020 en France, on est loin du compte, mais c’est un (tout petit) début.
Plus sérieusement, les techniques de construction permettent aujourd’hui de n’utiliser que le minimum requis de résines, qui sont particulièrement polluantes et quasi impossibles à recycler. 
Tous les cabinets d’architecture navale et les chantiers cherchent aussi des solutions pour limiter l’empreinte de leurs constructions. Souvent, dans le but premier de réduire leurs coûts de production mais aussi pour plaire à leurs acheteurs, mais là encore, le résultat est là. On trouve aujourd’hui des bateaux de grande croisière capable d’avaler des milles à la voile, sans avoir forcément besoin de faire tourner les moteurs pour avancer ou avoir de l’énergie à bord. Les panneaux solaires, hydrogénérateurs et éoliennes sont capables de fournir l’énergie nécessaire à la journée (si vous êtes en nav et sous les tropiques), d’autant plus qu’un gros travail a été effectué pour limiter les déperditions d’énergie…

A améliorer !

Tous ces progrès techniques ont largement fait des heureux. A bord, la vie s’est simplifiée et est devenue bien plus agréable. Mais la contrepartie a été une inflation quasiment illimitée des équipements du bord. Winches, bossoirs et guindeaux électriques bien sûr, mais aussi réfrigérateur(s), congélateur(s), machine à glaçons (!), four à micro-ondes, cafetière électrique, bouilloire, eau chaude sous pression, WC électrique… Les bateaux d’aujourd’hui sont de véritables usines nécessitant pour leur entretien, des compétences en électricité, plomberie, hydraulique. Et on ne parle pas ici des motorisation hybrides gérées par informatique et de la production d’hydrogène que l’on nous promet pour demain dans la plaisance.

Équipements et comportements à bannir…

Revenons un peu à la question essentielle : comment naviguer en restant le plus neutre possible quant à notre empreinte carbone pour notre petite planète bleue ?
Ce qui revient à se demander ce qui est vraiment indispensable pour profiter à fond de sa croisière ? Nous avons tous des besoins et des envies différentes. Heureusement. Personne aujourd’hui n’imaginerait partir pour une croisière de plusieurs semaines sans une électronique moderne, un dessalinisateur, un réfrigérateur. Et pourquoi se priver d’un guindeau électrique ou d’un réfrigérateur 
Et après ? Chacun navigue comme il le sent et surtout comme il le veut. Mais force est de reconnaître que plus les bateaux sont équipés, plus vous avez besoin de produire de l’énergie et plus le moindre souci devient… bloquant !
A chacun de trouver sa limite…

Et demain ?

Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui risque bien de nous emmener vers une surenchère de consommation dont le monde du nautisme ne sortira pas forcément ni grandi, ni gagnant. Plus grands, plus lourds, plus polluants mais aussi plus nombreux, nos bateaux vont se retrouver bientôt interdits de séjours dans certains coins paradisiaques (voir notre article sur la sanctuarisation de certains mouillages) comme le montre la fronde actuelle de certains polynésiens face aux voyageurs en bateau qui colonisent les plus beaux mouillages.
Mais plus que tout, le plaisir de naviguer risque de se perdre dans le besoin d’avoir toujours plus de confort à bord. Certains n’hésitent pas à aller contre cette marée montante qui semble pourtant inéluctable. Marc Lombard, célèbre architecte naval, a ainsi récemment clamé (dans le magazine Voiles et Voiliers) que « le seul bateau écolo, c’est celui qu’on achète d’occasion »… Quant à Marc Van Peteghem il met son nouveau credo en exergue : « light is green ». Où il explique que pour naviguer en adéquation avec son milieu il faut le faire simplement et… en restant léger !
Chiche ?

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