Une guerre entre deux pays, a fortiori pour s’emparer d’une île appartenant à l’autre, n’est jamais une sinécure. Sauf dans le cas de l’île de Hans Island que se sont disputés pendant un siècle et demi le Canada et le Danemark. Retour sur un conflit territorial – qui reste dans l’histoire sous le nom de « guerre du whisky » – peut presque apparaître… sympathique !
Hans Island est un petit caillou situé entre le Groenland et le Canada (au milieu du passage Kennedy entre l’île canadienne d’Ellesnere et le Groenland), d’une surface d’à peine 1,3 km2. Le caillou culmine à 195m de hauteur et… n’offre aucune richesse ni valeur mais est situé exactement sur la frontière entre les deux pays, qui se sont donc disputés sa propriété pendant près de 150 ans.
Enfin, quand on dit que Hans Island n’a pas de richesse, il y a quand même un gisement de gaz et pétrole enfoui très profondément dans les eaux alentour et surtout LA route maritime du futur pourrait bien passer par là.
Une route maritime qui s’ouvre avec le réchauffement climatique
Plusieurs études montrent en effet qu’avec la fonte des glaces maintenant largement documentée, la navigation de commerce dans les eaux arctiques ne peut que se développer, permettant aux cargos et autres portes containers de gagner du temps (et donc de l’argent) entre les trois grands océans… On parle ici d’une économie de distance entre l’Europe et l’Asie de 20 à 40% avec une ouverture à la navigation passant de 45 jours par an en moyenne entre 1980 et 1999 à 55 jours aujourd’hui et plus d’une centaine de jours en 2080. Hans Island et toute la zone pourrait donc devenir un point important pour son propriétaire « légitime » et avoir finalement une vraie valeur !
L’histoire de Hans Island commence avec Hans Hendrick qui, en 1853, met le pied dessus et la revendique au nom du Danemark (et en profite pour lui donner son nom). Mais cette revendication n’a aucune valeur pour le Canada, qui se fonde sur un traité de 1880 avec la Grande Bretagne, qui lui confère le transfert de propriété sur les îles arctiques qui étaient, jusque-là, sous sa domination.
Pendant pratiquement un siècle, le statuquo et la question de l’appartenance de l’île resteront de rigueur entre les deux puissances de la région. En 1973, Canada et Danemark signeront enfin un traité frontalier – les deux pays partagent une frontière maritime de 2685 km de long. Traité qui exclu pourtant le cas de Hans Island, l’île restant encore et toujours disputée par les deux pays.
La guerre du whisky a bien eu lieu…
Onze ans après ce traité, en 1984, le ministre danois en charge du Groenland se déplace sur Hans Island. Il en profite pour y faire dresser un drapeau danois au pied duquel, il dépose une bouteille d’alcool danois (du schnaps) accompagné d’un mot souhaitant la bienvenue sur cette île appartenant au Danemark…
La guerre dite « du whisky » vient de commencer.
A tour de rôle et jusqu’en 2022, chacune des deux puissances se rendra – très occasionnellement, il faut quand même le reconnaître – sur Hans Island, pour y planter son drapeau national et… y laisser une bouteille d’alcool national (du schnaps pour les danois, du whisky pour les canadiens) à l’attention des « ennemis » qui leur disputent la souveraineté de l’île.
Une solution pacifique à la « guerre du whisky »
Et puis le 14 juin 2022, un accord entre Danemark et Canada est enfin signé par les ministres des affaires étrangères des deux pays. Après que chaque pays ait planté son pavillon national et remplacé celui de leurs « ennemis » plus d’une dizaine de fois chacun (en ayant pris soin de laisser, à chaque fois, une bouteille) et ce pendant 49 ans, l’île est finalement partagée en deux parties quasi égales. Le Canada et le Danemark se partagent ainsi équitablement les richesses du sous-sol, les droits de pêche et… la manne que pourrait représenter le passage des cargos sur la route nord dont Hans Island pourrait devenir le nouveau détroit de Gibraltar.
Si les enjeux de cette « guerre du whisky » ont bel et bien été réels, nul doute que la manière de résoudre le conflit à l’aide d’alcool autochtone (à consommer avec modération, bien sûr) donne foi en l’humanité…
