Se replonger dans l’aventure

Les récits d’aventure maritimes ont souvent baigné notre enfance et nourri notre imaginaire. Alors que l’été est déjà bien installé, je vous propose de nous replonger dans quelques grands classiques du roman d’aventure. Et pourquoi pas en tirer quelques enseignements ?

Long John silver 

Carte de l'île au trésor

L’île au trésor de Robert Louis Stevenson est sans conteste l’un des plus grands récits d’aventure et de piraterie. Qui ne s’est pas un jour pris pour le jeune Jim Hawkins ? Qui n’a pas un jour rêvé d’embarquer sur un vieux gréement pour des terres inconnues ? Une promesse d’aventure, de voyage, de découverte et surtout… de trésor. C’est tout l’enjeu de ce roman, découvert un été dans une pile de livres sur l’étagère poussiéreuse de la maison de campagne de mes grands-parents. Le titre à lui seul est une invitation. On imagine déjà de l’or, des pierreries, des bijoux enfermés dans un coffre jalousement gardé sur une île secrète. On rêve déjà de déchiffrer une carte mystérieuse qui révèlerait ses secrets grâce à notre infaillible vivacité d’esprit. On appréhende déjà les mille dangers qui se dresseront inévitablement sur notre chemin. Mais lorsqu’on se décide enfin à ouvrir le livre, tourner les pages et aborder les premières lignes, tout chavire.

Publié en 1882, le roman nous renvoie dès la première page un siècle en arrière, sous le toît de l’auberge de l’Amiral-Benbow, sur la côte accidentée de Bristol en Angleterre. Jim Hawkins, le fils de l’aubergiste et le narrateur de l’histoire, se lance alors dans le portrait de Billy Bones, un vieux loup de mer qui s’installe à l’auberge.

C’est alors qu’un vieux marin, à la face rôtie par le soleil et balafrée d’une immense estafilade, vint pour la première fois loger sous notre toit. Je le vois encore, arrivant d’un pas lourd à la porte de chez nous, suivi de son coffre de matelot qu’un homme traînait dans une brouette. Il était grand, d’apparence athlétique, avec une face au teint couleur de brique, une queue goudronnée qui battait le col graisseux de son vieil habit bleu, des mains énormes, calleuses, toutes couturées de cicatrices, et ce coup de sabre qui avait laissé sur sa face, du front au bas de la joue gauche, un sillon blanchâtre et livide…

(Trad. André Laurie, Ed. Hetzel, 1911)

Tous les ingrédients sont déjà là et l’aventure peut commencer. A la mort de Billy Bones, Jim se retrouve en possession d’une carte au trésor. Il embarque sur l’Hispaniola, un navire armé par le chevalier Trelawney. Commandé par le capitaine Smolett, l’équipage est recruté par un certain Long John Silver, cuisinier de son état. C’est certainement le personnage le plus intéressant de ce récit qui mènera l’Hispaniola et son équipage à travers les océans jusqu’à la fameuse île au trésor. Fourbe et ambivalent, Silver deviendra l’archétype même du pirate dans l’imaginaire collectif. Cruel et traître d’un côté, il n’en reste pas moins sympathique et admiré par les membres de l’équipage. Les amateurs de Bande dessinée apprécieront l’excellente adaptation de Mathieu Lauffray et Xavier Dorison, simplement intitulée Long John Silver.

Outre le voyage et l’aventure, ce roman fait réfléchir le lecteur sur la nature humaine elle-même. L’esprit d’entreprendre se heurte à l’appât du gain, à la trahison et à toutes les bassesses dont l’homme est capable. Des vies sont perdues, au même titre qu’une certaine moralité, abandonnée sur l’île où personne ne souhaite retourner. De nos jours, certains aventuriers modernes se lancent à l’assaut des océans au nom de la science, de la découverte, et même pour la protection de l’environnement. Mais ont-ils tous conscience du prix à payer pour chaque expédition menée ? Aucun voyage en mer n’est à prendre à la légère. S’il faut savoir garder son regard d’enfant, il faut aussi garder la tête  froide pour ramener tout le monde à bon port.

Enfin, pour ceux qui ne quitteront pas la côte cet été, replongez-vous dans L’île au trésor de Stevenson, ou larguez les amarres avec le Capitaine Némo !

20 000 lieues sous les mers

En effet, ce deuxième roman, également publié aux éditions Hetzel, est lui aussi un incontournable récit d’aventure d’un tout autre genre. Publié en 1870, l’idée de ce roman fut soufflée à Jules Verne dès 1865 par nulle autre que la romancière George Sand, alors grande admiratrice de l’auteur à succès des Voyages extraordinaires. Là aussi, le voyage et l’aventure sont au rendez-vous. Et les gravures d’Alphonse de Neuville et d’Edouard Riou nous plongent littéralement sous la surface des océans. Encore un rêve d’enfant, rendu palpable par l’esprit génial de Verne. La science et la fiction se mêlent pour révéler au lecteur des mondes inexplorés et qui nourrissent encore aujourd’hui des appétits de savoir les plus débridés.

Alors que la rumeur de l’existence d’un redoutable monstre marin défraie la chronique, le professeur Pierre Aronnax embarque avec son fidèle serviteur à bord de l’Abraham Lincoln. A bord, ils font la connaissance de Ned Land, un chasseur de baleine québécois réputé. Le jour de la confrontation avec le monstre (de métal), ils sont projetés par-dessus bord. Ils se retrouvent prisonniers à bord du Nautilus, un sous-marin extraordinaire commandé par le Capitaine Nemo. C’est le début d’un formidable tour du monde des profondeurs qui les mènera de l’Atlantide au Pôle Sud en passant par le Pacifique.

L’année 1866 fut marquée par un événement bizarre, un phénomène inexpliqué et inexplicable que personne n’a sans doute oublié. […] En effet, depuis quelque temps, plusieurs navires s’étaient rencontrés sur mer avec « une chose énorme, » un objet long, fusiforme, parfois phosphorescent, infiniment plus vaste et plus rapide qu’une baleine.

(Ed. Hetzel, 1870)
L'aventure à bord du Nautilus

Le Capitaine Nemo, personnage emblématique de ce roman, est un homme étrange, en marge de la société. Son nom signifie littéralement “personne”, en référence à la ruse d’Ulysse lors de sa rencontre avec le Cyclope Polyphème. Scientifique éclairé et marin aguerri, il est cependant animé d’un esprit de vengeance. Cela le pousse à envoyer par le fond les navires qu’il pensent appartenir à une “nation maudite” à laquelle il voue une terrible haine.

Ce roman, souvent associé à de la littérature jeunesse, porte finalement un message plus profond. Il pointe la volonté insatiable de l’homme de conquérir et dominer ce qu’il ne maîtrise pas. On peut comprendre aisément la soif de connaissance de l’homme. Mais la figure ambivalente de “savant-fou” qu’incarne le Capitaine Nemo nous rappelle que derrière de nombreuses avancées scientifiques ou technologiques, se cachent des armes souvent destructrices. Ce roman appelle donc à un peu d’humilité et à accepter la part de mystère de notre monde.

Robinson Crusoé

Ce dernier ouvrage résonne également depuis notre plus tendre enfance comme une invitation au voyage. Le rêve insulaire est ici exploré par Daniel Defoe d’une étrange façon, presque dystopique. Publié en 1719, Robinson Crusoé est souvent considéré comme le premier roman d’aventure de la littérature anglaise. On garde tous à l’esprit l’image d’une histoire d’amitié entre un naufragé et un indigène sur une île déserte. Mais comme tout voyage entrepris sur les océans, ce n’est pas aussi simple…

L'aventure de Robinson et vendredi

En 1651, le jeune Robinson Crusoé quitte York à bord d’un navire, contre l’avis de ses parents, animé par ses rêves d’aventure et de découverte. Attaqué par des pirates de Salé près des côtes marocaines, il est réduit en esclavage puis finit par s’enfuir vers le Brésil. Participant à une nouvelle expédition pour chercher des esclaves, il échoue lors d’une tempête sur une île à l’embouchure de l’Orénoque au Vénézuela. La vie s’organise pour Robinson à qui il ne manque que la compagnie des hommes. Libéré des griffes d’un groupe de cannibales, Vendredi deviendra son compagnon pendant 28 ans.

Mon père, homme grave et sage, me donnait de sérieux et d’excellents conseils contre ce qu’il prévoyait être mon dessein. […] “Il n’y a que les hommes dans l’adversité ou les ambitieux qui s’en vont chercher aventure dans les pays étrangers, pour s’élever par entreprise et se rendre fameux par des actes en dehors de la voie commune. Ces choses sont de beaucoup trop au-dessus ou trop au-dessous de toi”.

(Trad. Pétrus Borel, 1836)

Robinson incarne à lui seul le passage de l’obscurantisme à l’esprit des Lumières. Empreint de catholicisme, appartenant à “l’ancien monde”, esclavagiste et européano-centré, ses aventures vont l’amener à construire sa réflexion sur l’homme. Dans ce roman, les codes sociaux ne sont pas renversés. Mais l’on voit déjà poindre la révolte et “le mythe du bon sauvage” que développera Rousseau dans ses écrits philosophiques. L’opposition entre l’homme naturel et l’homme social est très présente, ainsi que la perversion de la nature humaine par la société de l’époque.

Cette idée de la domination de l’homme sur l’homme, combattue par les penseurs des Lumières, n’a malheureusement pas disparu. Mais il est une vertu indéniable au voyage, surtout au voyage par navigation, celui où l’on prend le temps, c’est que la découverte de l’autre amène plus de tolérance et de compréhension. C’est ainsi que le récit d’aventure marin ouvre les esprits et nourrit l’imaginaire des lecteurs avides de découvertes et de connaissances.

Pour aller plus loin : Lire notre article sur la littérature et la navigation

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