Depuis fin-mars, je prépare le bateau pour la première course de la saison : optimiser, changer quelques poulies, réparer un bout cassé lors de l’entraînement, etc. Je rassemble et j’installe aussi tout le matériel de sécurité obligatoire à bord du bateau. J’ai aussi plusieurs problèmes d’électronique à résoudre. L’électronique et l’énergie à bord sont importants pour la sécurité, et pourtant ils sont la bête noire de la majorité des marins. Sans énergie et sans électronique, nous pouvons vite être pénalisés, et souvent l’électricité est le sujet que nous maîtrisons le moins… Il faut donc que je m’y mette !
Cette course, c’est la PLM, la Plastimo Lorient Mini. Elle se courre en double, au départ de Lorient. 80 bateaux seront sur la ligne de départ, jeudi 13 avril à 17h. 160 coureurs sont sur les pontons, à finir de préparer leur bateau et leur course. Et parmi ces 160 marins, 80 sont des femmes ! Pour la première année, le pôle Lorient Grand Large, a décidé de faire bouger les choses dans le monde de la voile, en imposant la première course de la saison MIXTE ! Une première dans l’histoire de la classe Mini, et dans l’histoire de la voile. Cette course donne ainsi l’opportunité à de nombreuses femmes de se lancer dans la course au large !
Cette course constitue ma première course sur mon mini en tant que skippeuse. C’est donc une grande étape pour moi ! Pour cette première course en tant que skippeuse, mes objectifs sont de prendre du plaisir, de réaliser de belles manœuvres, de finir la course pour pouvoir obtenir mes milles de qualification, et de préserver le bateau au vu des conditions musclées qui s’annoncent.
Initialement, le départ de la course devait être donné jeudi à 17h pour un parcours de 250 milles nautiques. La veille du départ, le président de course, Yves Le Blévec (peut-être son nom vous est familier 😉 ), ancien ministe et coureur en ultime, décide de modifier la course suite à un coup de vent annoncé dans la nuit de jeudi à vendredi, et vendredi toute la journée. Nous apprenons donc que nous partons pour un départ jeudi à 10h pour rentrer en fin de journée, avec une journée off vendredi pour laisser passer le coup de vent, et que nous repartirons éventuellement en course le samedi si la météo le permet, pour une arrivée le dimanche.
Jeudi matin à 7h, le comité de course n’est pas encore certain de nous laisser partir au vu des grains sur le plan d’eau. À 8h30, nous avons le feu vert pour quitter les pontons et nous rendre sur la ligne de départ. Dès la sortie du port de Lorient, nous enchaînons les molles (peu de vent), puis les grains (vent violent). Avec mon co-skipper, comme tous les autres, nous avons anticipé de mettre un ris dans la grand-voile et dans le génois, c’est-à-dire que nous réduisons notre voilure pour nous adapter au vent fort. Le top départ est donné à 10h, et nous partons au près (allure proche du vent) vers Groix pour enrouler la cardinale Speerbrecker. Sur ce bord, le vent étant mollissant, nous contournons la marque et partons en direction des Glénans. Encore abrité par l’île de Groix, je décide de retirer le ris dans le génois, c’est-à-dire que je remets la voile d’avant pleine. Mon impatience dans le vent faible est une grosse erreur. Nous continuons de tirer des bords au près (proche du vent, en remontant au vent), avec la quille pendulaire qui nous aide à être moins gîté. Et là, le premier grain nous tombe dessus violemment, je ne l’avais pas anticipé suffisamment. Notre bateau, et tous les autres bateaux autour de nous, nous retrouvons « sur la portière » comme on dit, c’est-à-dire le bateau gité à 90° et plus, toutes voiles lâchées, qui claquent dans le vent, avec la grêle qui nous fouette. Avec mon co-skipper, nous décidons de remettre le ris dans le génois, qui est plus compliqué à installer en mer qu’à terre… mais j’y arrive. Nous décidons ensuite de prendre le deuxième ris dans la grand-voile (c’est-à-dire de réduire encore plus la voilure), mais là, nous réalisons que notre bas-étai est cassé. Le bas-étai est un élément indispensable lorsque nous réduisons la grand-voile, car c’est lui qui retient le mât à l’avant. Sans le bas-étai, nous ne pouvons pas réduire la grand-voile au-delà de 1 ris (sur mon mini, je peux réduire jusqu’à 3 ris). Nous n’avons pas de quoi le réparer immédiatement, et voyons que notre trajectoire et celle des autres bateaux autour de nous devient compliquée dans le grain, nous décidons de sécuriser le bateau : nous affalons complètement le génois pour calmer la cadence le temps que le grain passe. Dans ce premier grain, nous avons eu plus de 40 nœuds de vent et nous avons perdu un évent de ballast. A côté de nous, plusieurs bateaux ont déchiré leur voile, cassé du matériel et signalent leur abandon et leur retour au port. Avec mon co-skipper, nous savons que nous sommes dans l’impossibilité de réduire la voilure, donc nous adoptons la stratégie suivante: l’objectif est de ne pas abandonner et de préserver le matériel et le bateau, donc comme nous ne pouvons pas réduire la grand-voile, nous affalerons le génois dans les grains le temps de le laisser passer, puis le re-hisserons. Nous suivons cette stratégie jusqu’à la cardinale Jaune des Glénants, où nous devons négocier chaque grain pendant la remontée au vent. Arrivés aux Glénans, nous enroulons la marque pour nous rendre vers un point virtuel dont les coordonnées GPS nous ont été communiqués. Nous partons au travers vers l’ouest de Groix. Arrivés au point virtuel, nous sommes pris dans un grain trop fort, et nous ne pouvons pas empanner pour manoeuvrer sans risque. Nous décidons de virer de bord, ce qui n’est pas la manœuvre optimisée vu la trajectoire, mais celà nous permet de mettre le mât (et nous) en sécurité. En effet, à chaque manœuvre (virement et empannage), nous devons reprendre les bastaques, ce sont des bouts qui retiennent le mât à l’arrière, très importants quand le vent est fort. L’empannage dans du vent fort est une manœuvre qui peut être violente, et nous n’avons pas le droit de nous rater dans la reprise des bastaques, alors que le virement de bord est moins violent et moins exigeant pour le mât. Nous abbatons ensuite (c’est-à-dire nous nous écartons du vent pour avoir le vent dans le dos) pour nous diriger vers Lorient. Comme notre bas-étai est toujours cassé et que notre grand-voile est presque pleine, nous ne pouvons pas envoyer de spinnaker (voile d’avant utilisée aux allures portantes), car nous serions en surpuissance maximale… Nous surfons dans les vagues, avec des pointes à 14 nœuds. Là encore nous devons négocier dans les grains, mais sans affaler le génois cette fois-ci. Les grains nous accompagnerons jusqu’à l’arrivée dans le chenal de Lorient, où nous coupons la ligne à 19h25 en 16ème position sur 24 dans notre catégorie (proto). Malgré un classement médiocre, nous sommes satisfaits du résultat car nous avons eu peu de casse comparé aux autres bateaux, ce qui montre que le chantier du bateau est correct, et que nous avons pu terminer la course. Le comité de course nous annonce qu’un nouveau départ sera donné le samedi matin.
Vendredi, nous en profitons pour réparer notre bas-étai et remplacer l’évent de ballast perdu dans le grain. La direction de course nous dévoile 4 parcours possibles pour la seconde course. Nous saurons le parcours définitif juste avant le départ… Je prépare ensuite la navigation pour la seconde course, c’est-à-dire la météo, les courants, les marées, le cap, quelle voile je prévoie de mettre quand… Nous sommes tous contents de ne pas être sur l’eau pendant que la tempête gronde.
Samedi matin, le coup de vent est passé. A 7h, la direction de course nous annonce le parcours. Nous partons à 8h des pontons, avec un vent oscillant entre 18 et 20 nœuds. Nous sommes tous prêts à prendre le départ sous gennaker, et à 10h nous réalisons tous que le vent n’est pas orienté comme prévu. C’est donc un premier bord au près que nous ferons, pour aller contourner l’ile de Groix. J’ai pu réaliser à quel point la carène de mon bateau est très efficace au près… Nous avons pu atteindre la marque en un bord, alors que la majorité des autres bateaux ont dû tirer des bords ! Nous arrivons au bout de l’île, où le spectacle des vagues sur les rochers est magnifique, mais nous n’avons pas tant le temps d’admirer le paysage ! Je suis en retard sur la préparation du spinnaker, et je l’envoie un peu trop tard comparé aux autres bateaux. Nous partons pour une descente sous spi de 4-5h à surfer les vagues ! En approche de Quiberon, j’ai mal calculé les bords et nous nous retrouvons trop proches de la côte, nous sommes contraints de loffer (c’est-à-dire nous rapprocher du vent) pour passer la pointe de Quiberon et prendre le fameux passage de la Teignouse. Nous « partons au tas », c’est-dire que nous sommes trop proche du vent avec le spi, ce qui nous fait fortement loffer et gîter, ce n’est pas bon. J’affale le spi, nous corrigeons notre cap, passons la pointe de Quiberon, nous abattons et je renvoie le spi, c’est reparti pour les surfs ! Nous allons jusqu’à la cardinale nommée « La Recherche » que nous contournons, pour ensuite partir au travers vers le plateau du Four, proche du parc éolien de Guérande. Nous contournons la cardinale ouest Basse Cappella, et nous commençons la très longue remontée au près vers Belle-Ile… Le vent monte jusqu’à 28 nœuds, nous prenons un ris dans la grande-voile et continuons notre route vers Belle-Ile. Nous tirons des bords pour contourner Belle-Ile, j’enchaine les virements; faire passer les voiles, penduler la quille, prendre les bastaques, faire la stratégie, donner les instructions à mon co-skipper qui est chargé de la barre. Nous remarquons que, tribord amure nous avançons bien, avec une gîte modérée, mais que sur bâbord amure nous sommes « sur la portière », c’est-à-dire bien trop gîté. Nous trouvons celà bizarre et cherchons pourquoi… et là nous réalisons qu’un des ballasts, celui à tribord, est rempli, ce qui nous rajoute du poids du mauvais côté ! En fait, lorsque nous avons perdu notre évent de ballast jeudi dans le grain, le ballast s’est rempli avec la pluie et la mer sur le pont du bateau. Que celà ne tienne, nous virons de bord et je rajoute le transvasement des ballasts dans ma « to do list » de manœuvre. On est bien mieux maintenant ! La nuit tombe lorsque nous continuons de contourner Belle-Île, et vers 22h, le vent tombe à 12 nœuds. Nous enlevons le ris dans la grand-voile et nous nous dirigeons vers le large pour aller chercher du vent frais. Nous sommes escortés par des dauphins et du plancton phosphorescent. La nuit est très froide, et la remontée très longue. Une fois Belle-Ile contournée, nous irons jusqu’au chenal de Lorient en un seul bord. Dans le chenal de Lorient, nous enchaînons les virements de bord, le vent est encore tombé et le courant commence à être contre nous. Nous devons jouer stratégique et ça paye : nous gagnons plusieurs places. Nous couperons la ligne en 15ème position sur 24 dans notre catégorie (proto), à 3h43 dimanche matin. Lors de cette deuxième course, je suis contente d’avoir pu faire les manœuvres en faux solo, avec mon co-skipper en charge seulement de la barre, c’était l’un des objectifs de cette deuxième course pour me faire monter en compétence sur le bateau. Je suis néanmoins encore trop lente dans les manœuvres et dans les changements de voile, mais l’entraînement et la préparation physique sont là pour ça ;).
Au classement général, nous finissons 14ème sur 24 dans notre catégorie (proto). Pour information, il existe une deuxième catégorie, les bateaux de série, ils étaient 61 bateaux.
Malgré un classement moyen, nous sommes contents de la course, du résultat du chantier effectué cet hiver, et de la progression sur les manœuvres lors de la course. Le bateau est encore à Lorient, et je le ramènerai fin avril, en solitaire si la météo est bonne, afin de tester mon pilote auto. Je devrai ensuite effectuer quelques réparations sur le bateau et améliorations (il y en aura toujours !), ainsi que continuer à travailler sur l’électricité à bord, avant de partir pour ma deuxième course en double de la saison en juin: la Mini Fastnet.
Je vous donne des nouvelles de la Mini Fastnet prochainement !
Pour lire l’épisode 3, c’est ici.