Sponsoring et course au large : Les amants maudits

C’est devenu une habitude : les années paires sont consacrées à la course au large. Vendée Globe et Route du Rhum se retrouvent ainsi alternativement sur le devant de la scène pour le plus grand plaisir des passionnés, du grand public et… des sponsors.

Un peu d’histoire

Avant les années 60, ce que l’on appelait alors encore le yachting était l’apanage exclusif de riches passionnés. Ces mécènes engloutissaient une partie de leur fortune pour faire naviguer les plus beaux et plus rapides bateaux du monde. Mais l’évolution technique des navires et la concurrence aidant, les coûts se sont envolés tandis que de jeunes désargentés, mais talentueux et ingénieux marins, se prenaient, à leur tour, au jeu de la régate ou de la course au large. Ils voulaient naviguer, inventer, expérimenter mais, pour cela, devaient absolument trouver des financements extérieurs.

Comme ces marins d’un nouveau genre étaient malins, ils ont imaginé une solution à leur problème : proposer à des entreprises intéressées par l’image positive de la voile de les financer en échange d’une mise en avant de leurs noms ou de leurs produits.

Au cours des années 60 puis surtout des années 70, on a ainsi vu fleurir des noms d’entreprises sur les coques de bateaux. Le plus emblématique exemple étant vraisemblablement le fameux “Club Méditerranée » d’Alain Colas – un gigantesque 4 mâts de 72m imaginé pour la transat en solitaire de 1976. Le sponsoring était né et avec lui, la recherche toujours plus poussée de la performance, du résultat, mais aussi de l’obligation de communiquer et de « raconter de belles histoires ».

Le public est au rendez-vous, les financements aussi…

C’est pour raconter ces belles histoires et donc trouver de nouveaux sponsors, que certaines courses ont été inventées (elles-mêmes souvent dénommée d’après le nom d’un généreux sponsor). On ne tourne plus autour de trois bouées en équipage (ce n’est pas franchement sexy ni très visuel et ça manque d’aventure) mais on envoie des solitaires traverser l’Atlantique, puis tourner autour du monde. La transat anglaise, le Globe Challenge, puis la Route du Rhum, et enfin le Vendée Globe deviennent les rendez-vous incontournables des marins les plus chevronnés, des architectes les plus imaginatifs, mais aussi du grand public qui trouve dans ces événements la part de rêve qui manque cruellement dans la vie quotidienne.

La course au large en général et le Vendée Globe ou la Route du Rhum en particulier sont des évènements très suivis par le grand public et donc… les médias. Un vrai bonheur pour les sponsors ! (photo : Yvan Zedda)
La course au large en général et le Vendée Globe ou la Route du Rhum en particulier sont des évènements très suivis par le grand public et donc… les médias. Un vrai bonheur pour les sponsors ! (photo : Yvan Zedda)

Lors de l’édition 2018 de la Route du Rhum, le village ouvert pendant 12 jours a ainsi accueilli 1,3 million de visiteurs (et quasiment autant devant la télé à l’heure du départ officiel) ! Record battu…

Et que dire du nombre de skippers rêvant de s’élancer pour ce face à face avec l’Atlantique ? En 1960, ils étaient 6 à oser braver, seuls, l’océan lors de la première transat anglaise. En 2022, ce sont 138 solitaires qui vont tenter de rejoindre la Guadeloupe au départ de Saint Malo pour la douzième édition de la Route du Rhum… 138 bateaux qui sont tous sponsorisés. Car participer à cette course mythique coûte cher, très cher même. Pour un Ultim, c’est 80 000 euros pour la seule inscription. Dans la catégorie Monocoque Rhum, celle où l’on retrouve les “amateurs”, c’est minimum 30 à 40 000 euros. Et on ne parle ici que du montant minimum pour s’aligner. Il faut ensuite, un bateau, l’équiper, le préparer, etc.

Un barnum géant

Le résultat est un phénomène quasiment unique dans le monde sportif. Le nom attribué au bateau, celui que l’on entend sur toutes les ondes, est celui du sponsor. Comme si on ne parlait plus de l’équipe de foot de telle ville, mais de l’équipe de l’entreprise Untel, sponsor de l’équipe en question… Exit le PSG, bienvenue à l’équipe Fly Emirates !

Et le résultat de ce “naming” exclusif peut vite devenir perturbant : par exemple, un même bateau a gagné les 3 dernières éditions de la Route du Rhum en classe Ultim. Il s’appelait Groupama 3 en 2010, Banque Populaire VII en 2014 et Idec Sport en 2018 ! Mais c’est bel est bien le même trimaran. Même le plus chevronné des passionnés a ainsi du mal à retrouver son bateau préféré…

Des noms et des couleurs

On l’a vu, la course au large parle au grand public. Et les sponsors qui veulent toucher cette population se jettent sur ce qui reste un moyen très intéressant de toucher des millions de consommateurs à un coût (presque) raisonnable. On a ainsi vu au cours de l’histoire de la course au large, des bateaux s’appeler de noms aussi divers et incroyables que « Le Journal de Mickey », « Géant », « Fleury Michon » ou encore « Olympus Photo » (le premier vainqueur du Rhum). Mais il y a eu aussi des noms encore plus improbables : des banques, des assurances, des industries chimiques et/ou pétrolières ou même un fabricant d’armes ont ainsi sponsorisé des bateaux dans le but de motiver leurs salariés en interne, donner un aspect plus positif à leur nom et “verdir” largement leurs activités.

Car le bateau porte en lui cette aura qui a fait rêver des générations d’enfants et d’adultes. Et la course au large est toute aussi porteuse de valeurs que le grand public considère comme positives : aventure, nature, préservation de l’environnement, liberté… Et oui, depuis la seconde moitié du XXe siècle, la course au large est associée à une aventure non polluante (on navigue uniquement grâce à la force du vent – voir aussi notre article sur l’écologie dans la course au large) et les marins sont les derniers aventuriers libres de faire ce qu’ils veulent. Bref, la voile, c’est « bankable », comme disent les producteurs de cinéma américains…

Toujours plus ?

Bien que son coût soit (très) important, la course au large se porte bien. Les frais d’inscription n’ont jamais été aussi importants, les développements et la construction de bateaux toujours plus techniques et aussi chers, et pourtant les grandes courses refusent du monde à chaque départ.

Force est de reconnaître que cette évolution, on la doit aussi aux sponsors dont le rôle n’a cessé de se développer. De « simples » financiers au départ, ils sont devenus partie prenante dans l’aventure, puis décisionnaires dans un certain nombre de choix pour être aujourd’hui armateurs des bateaux, débauchant les meilleurs skippers et architectes et même créateurs de classe pour quelques-uns d’entre eux.

Ces sponsors/armateurs dominent aujourd’hui l’écosystème de la course au large, imposant leurs choix, leur calendrier, leurs règles… au point d’essayer de décider – comme l’a démontré « l’affaire Gabart » – qui a le droit de concourir, ou pas, sur une course comme la Route du Rhum. Ce qui compte est le retour sur investissement – ce qui est bien compréhensible – et la bonne gestion des évènements.

Les marins de retour à la barre ?

Mais dans cette machinerie pourtant bien huilée, certaines voix – et non des moindres – commencent à se faire entendre. Et cet appel nous vient du large. Des skippers reconnus ont osé une tribune pour dire que leur sport, aussi magnifique soit-il, doit devenir plus vertueux et ne plus accepter… l’inacceptable.

Pour ces marins, l’inacceptable est avant tout la pollution engendrée par des courses au bilan carbone déraisonnable. Les organisateurs de la Route du Rhum ont ainsi publié les chiffres de l’édition 2018. La course avait alors libéré dans l’atmosphère environ 145 000 tonnes d’équivalent CO2. A l’heure où on nous explique que notre planète ne peut supporter plus de 2 tonnes par personne et par an, ce bilan est juste… insoutenable et insupportable.

La solution pour le collectif la Vague à l’origine de cette tribune ? Réinventer la course au large avec des solutions simples comme : 

  • Inclure l’impact environnemental dans les règles de course ;
  • Valoriser les performances des marins engagés sur des bateaux anciens plutôt que mettre en valeur les constructions neuves ;
  • Réduire la vitesse des voiliers pour épargner les animaux marins victimes des collisions ;
  • Centrer la communication sur l’aventure humaine plutôt que sur le « toujours plus technologique » ;
  • Réinventer les villages courses pour limiter l’impact écologique ;
  • Et surtout organiser des courses retour ou des courses revenant au point de départ pour éviter l’impact des logistiques de transport (soit les ¾ des rejets d’équivalent CO2 d’une course comme la Route du Rhum).

Reste à savoir comment cette volonté de concevoir un sport « plus propre » va pouvoir s’adapter à un monde régi – pour l’instant – par l’obsession du retour sur investissement. Quel sponsor voudra se lancer dans la construction d’un bateau neuf si la jauge le pénalise pour ce rejet excessif d’équivalent de CO2 ? Qui va vouloir financer la course retour de la Route du Rhum de Guadeloupe vers l’Europe si, comme en 2002 seuls 3 multicoques sur 18 sont à l’arrivée ?

Le sponsoring “plus propre que propre”, nouvelle mode ou nouvelle donne ?

La solution pourrait venir de nouveaux sponsors plus à l’écoute de la réalité du monde actuel. Depuis quelques années déjà, on voit pointer sur les coques des bateaux de course, des noms beaucoup plus porteurs de rêves que les habituels noms d’entreprises commerciales. Des noms qui ne semblent pas vouloir nous vendre quoique ce soit : Mécénat Chirurgie Cardiaque devenu Initiatives-Coeur, 4myPlanet, Times for Ocean, One planet One Ocean, les P’tits Doudous, Use It Again !, Mieux… Des noms de bateaux qui reprennent donc des noms d’associations caritatives, d’aide aux malades ou cherchant à alerter sur la pollution.

Évidemment, le principe n’est pas que les associations en question financent le bateau, sa construction ou sa préparation. Le concept de ce nouveau sponsoring est au contraire que le skipper se serve de la bonne image de l’association – qu’il va promouvoir -, pour demander à des entreprises (bien commerciales, elles) de le financer et ainsi de s’associer à un projet positif… C’est du gagnant-gagnant !

Crédit : Christophe Trevisani

Alors, ces nouveaux sponsors peuvent-ils aider la course au large à se réinventer et à être moins polluante ? Difficile à imaginer, mais ces courses ont toujours réussi à nous faire rêver alors peut-être peuvent-elles maintenant nous écrire un futur plus durable et ainsi… nous faire rêver encore plus !

Partager sur :

AUTRES ARTICLES