Pêche : Fin de la piraterie moderne ?

L’Union européenne décide de fermer 87 zones en Atlantique nord-est à la pêche en eaux profondes. Une nouvelle mesure qui intervient suite à l’appel de 180 scientifiques du monde entier à interdire les méthodes de pêche destructrices. Mais cela suffira-t-il à préserver la biodiversité des fonds marins ? Comment les Etats tentent-ils de mettre fin à cette piraterie moderne ?

Les Scientifiques et les associations mobilisées sur la question de la pêche

Le 11 septembre 2022, le Journal du Dimanche publie un appel adressé à l’Union européenne. 180 scientifiques demandent à l’UE d’interdire les méthodes de pêche destructrices et les activités industrielles dans les aires marines protégées (AMP). Ces scientifiques soulignent que “la transition vers une pêche à faible impact et la protection de 30 % de la zone économique exclusive de l’UE via un réseau d’AMP d’ici 2030 (dont 10 % via des aires marines sous protection stricte, qui constitue un élément clé de la Stratégie de l’UE pour la biodiversité), contribueraient à restaurer la biodiversité marine européenne, à reconstituer les pêcheries européennes épuisées, à ressusciter les petites pêcheries côtières en souffrance et les moyens de subsistance qu’elles soutiennent, et seraient facilement financées par la réorientation des subventions à la pêche nuisibles de l’UE”.

Pêche industrielle en asie
Photo : Pok Rie / Pexels

Le 14 septembre 2022, la veille du début des négociations à Bruxelles sur l’interdiction de la “senne démersale”, l’association Bloom publie un sondage inédit : 98% des pêcheurs français sont favorables à l’interdiction de cette technique de pêche destructrice. Inventée par les pêcheurs industriels néerlandais, elle consiste à déployer un câble sur les fonds marins, puis à le rabattre sur les poissons piégés en créant un mur de sédiments autour d’eux. Sachant que cinq senneurs suffisent à ratisser l’équivalent de la surface de Paris, on imagine aisément les dégâts causés par les 75 senneurs aujourd’hui autorisés à pêcher dans la Manche.

L’association a donc lancé une pétition adressée au Président de la République afin qu’il prenne des mesures fermes. L’objectif est à la fois environnemental, pour la protection des fonds marins et de la biodiversité, mais aussi social. En effet, les pêcheurs artisanaux sont les premiers à souffrir de ces pratiques qui induisent une concurrence “brutale et déloyale”. Malheureusement, cette pétition, ainsi que la proposition de résolution européenne déposée par l’Assemblée nationale sont restées lettres mortes. Le 29 septembre 2022, la France et l’Union européenne ont voté contre l’interdiction de la senne démersale.

Les aires marines protégées en question

Carte des nouvelles zones protégées

C’est donc dans ce contexte que, le 15 septembre 2022, l’Union européenne a voté la mise en application d’une décision visant à fermer 87 zones en Atlantique Nord à la pêche en eaux profondes. Couvrant 16 400 km2, ces zones représentent environ 1% des eaux communautaires de l’Atlantique Nord-Est. Elles concernent plus précisément les eaux territoriales de l’Irlande, de la France, de l’Espagne et du Portugal. Les navires équipés d’engins de fond (chaluts de fond, dragues, filets maillants de fond, palangres de fond, casiers et pièges) ne pourront désormais plus pêcher au-delà de 400 mètres de profondeur.

Claire Nouvian, fondatrice de Bloom Association, a très largement salué dans la presse cette décision. Elle permettra ainsi de protéger “des coraux millénaires, des éponges et des requins centenaires, de fragiles poulpes à oreilles et des myriades d’espèces extraordinaires qui sont les victimes collatérales depuis plus de 30 ans de l’insatiable cupidité des navires industriels”, a-t-elle déclaré.

Si ce premier pas consenti par l’Union européenne trouve des échos favorables chez les ONG, les revendications ne s’arrêtent pas là. En effet, les associations demandent l’interdiction du chalutage profond également dans les aires marines protégées. Voilà une demande saugrenue ! Les règles sont claires : toute activité industrielle est interdite dans ces aires et seule la pêche artisanale avec des bateaux de moins de 12 mètres est autorisée. Si une aire marine est protégée, elle ne devrait pas subir les effets néfastes d’une pêche industrielle dévastatrice. Malheureusement, il existe un grand décalage entre la théorie et la réalité. Aujourd’hui, selon une étude publiée sur le site Frontiers, 86% des AMP européennes sont chalutées et on estime à moins de 1% d’AMP réellement protégées.

Chalutier de pêche industrielle
Photo : Alain Margreve / Pexels

A ce titre nous avions déjà souligné dans un précédent article les initiatives du gouvernement français pour le développement des aires marines protégées. Le rapport publié en mars 2022 par le Comité français de l’UICN (le réseau des organismes et des experts de l’Union internationale pour la conservation de la nature en France) prône également un développement et un renforcement de ces espaces protégés. Mais selon les ONG, ce ne sont que de belles paroles et les contrôles sont insuffisants.

Nouveau tour de vis à l’Union européenne

Le 26 septembre 2022, le couperet tombe. “Pêche illicite : les Etats membres doivent frapper plus fort” titre la Cour des comptes européenne dans un communiqué de presse. Le rapport de cette instance rejoint l’analyse des ONG et ne mâche pas ses mots : “​​La pêche illicite, non déclarée et non réglementée est l’une des plus graves menaces pesant sur les écosystèmes marins et sape les efforts déployés pour gérer la pêche de manière durable”.

Selon Eva Lindström, la Membre de la Cour responsable de l’audit, “L’UE a mis en place des systèmes de contrôle pour éviter que les produits de la pêche illicite ne finissent dans nos assiettes. Pourtant, certains produits passent encore au travers des mailles du filet, notamment parce que les contrôles et les sanctions diffèrent d’un Etat membre à l’autre». Le rapport évoque des chiffres qui oscillent au niveau mondial entre 10 et 26 millions de tonnes de captures illicites par an. Une véritable “piraterie moderne” dont les gains sont estimés entre 10,4 et 23,9 milliards d’euros !

Dauphins
Photo : Kammeran Gonzalez Keola / Pexels

Les rapports se suivent et se ressemblent. Certes, les dernières décisions de l’UE constituent une réelle avancée sur ce dossier. Mais il est grand temps que les paroles soient suivies d’actes et qu’une vraie politique commune soit mise en place, avec un système d’arbitrage vraiment efficace. Tous les citoyens de la mer le savent : sauvegarder les fonds marins, c’est sauvegarder la vie sur Terre. Les océans sont le véritable poumon de la planète. Les herbiers, les plantes et les mangroves absorbent des quantités phénoménales de CO2 qui sont stockées dans le plancher océanique. Et lorsque des chaluts raclent les fonds, ils libèrent des tonnes de CO2 vers la surface. Enfin, ces pratiques brutales ne sont pas seulement dévastatrices pour la biodiversité, elles impactent aussi l’activité de tous les pêcheurs artisanaux qui peinent à survivre face à la pêche industrielle. Alors… à quand la fin de la piraterie moderne ?

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