Cargos transocéaniques : la mobilité zéro émission est-elle pour demain ?

Selon un rapport de l’OMI*, en 2018, le transport maritime a émis 1056 millions de tonnes de CO2 et 90% de ces émissions l’ont été par les cargos. Pour limiter ces émissions de gaz à effets de serre, de nombreuses start-ups se lancent dans une recherche effrénée sur de nouveaux modes de propulsion. Le cargo propre est-il enfin pour demain ?

Cargo sur l'horizon
Photo de Ricardo Usher Malcolm provenant de Pexels

Des échéances proches et des contraintes fortes…

Les accords de Paris établis en 2015 lors de la COP 21 ont été perçus par beaucoup comme une avancée majeure dans la lutte contre le dérèglement climatique. Pour d’autres, le constat a été plus mitigé. Toujours est-il que les objectifs fixés par la COP21 ont amené l’OMI (Organisation maritime internationale) à établir un plan d’actions en trois phases, entré en vigueur en 2018.

La première phase (de 2018 à 2023) prévoit des actions de recherche et développement. Elles portent sur de nouveaux systèmes de propulsion, ainsi qu’une amélioration de l’EEDI, l’indice qui mesure l’utilisation de systèmes de propulsion efficaces et économes en énergie sur tous les nouveaux navires.

La deuxième phase (de 2023 à 2030) vise à effectuer un retrofit** des propulsions sur les navires existants. Elle vise aussi à mettre au point de nouveaux navires embarquant des technologies réduisant les émissions de gaz à effet de serre.

La troisième et dernière phase (au-delà de 2030) projette d’utiliser au maximum les nouveaux systèmes zéro émission à bord des navires. L’objectif final étant de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre du transport maritime en 2050.

La technologie actuelle peut-elle répondre aux besoins énergétiques des cargos ?

Certains navires ont déjà atteint une mobilité zéro émission. Les technologies principalement utilisées pour ces navires sont les batteries Lithium ou, dans une moindre mesure, les piles à combustible. Néanmoins, sur le plan du profil opérationnel, ces navires nécessitent de faibles puissances propulsives et disposent d’une faible autonomie. A titre d’exemple, le premier cargo électrique à batteries, construit par Guangzhou Shipyard en Chine, a une autonomie de 80 km. Le ferry danois 100% électrique, Ellen, présente une autonomie de 40km. Ce qui est « sept fois plus que les navires électriques existants », explique Trine Heinemann, la coordinatrice de ce projet, interviewée par Euronews. Ces autonomies permises par les batteries sont loin de celles nécessaires aux cargos transocéaniques.

Concernant la pile à combustible fonctionnant à l’hydrogène, il faut savoir que dans un litre de fioul on peut stocker environ 3 fois plus d’énergie que dans un litre d’hydrogène. La technologie du stockage d’hydrogène, actuellement maîtrisée, permet un stockage gazeux à 700 bars dans des bonbonnes de petite taille. De fait, avec les technologies de stockage actuelles, le volume des réservoirs d’hydrogène qu’il faudrait à bord d’un cargo pour traverser un océan est un frein à l’utilisation des piles à combustible.

En revanche, la voie de l’hydrogène stockée sous forme liquide est prometteuse. C’est sur cette voie que travaille l’entreprise EODev. L’objectif est le développement en 2025 d’un cargo à mobilité zéro émission propulsé par des piles à combustibles avec de l’hydrogène comme carburant.

Quelles technologies existent à court terme pour réduire les émissions des cargos transocéaniques ?

Pour répondre aux objectifs de la deuxième phase du plan d’action de l’OMI, les moteurs « spark ignited » ou « dual-fuel » sont privilégiés par les armateurs comme la CMA CGM ou Maersk. Ces derniers fonctionnent comme les moteurs thermiques classiques. Mais ils utilisent un carburant alternatif (méthanol, GNL, ammoniac, hydrogène) présentant une teneur en carbone moindre que les carburants fossiles (voire nulle pour l’ammoniac et l’hydrogène). De fait, selon les informations fournies par le motoriste MAN, en comparaison à un moteur thermique fonctionnant au fioul lourd, un moteur dual-fuel permet de réduire d’au moins 10% les émissions de CO2, de 20% les émissions d’oxyde d’azote et de 90% les émissions d’oxyde de soufre. Les technologies de réservoirs de méthanol, d’ammoniac et de GNL permettent l’utilisation de ces carburants sur les cargos transocéaniques.

Néanmoins, le seul moteur qui pourrait permettre d’atteindre un objectif de mobilité zéro émission est le moteur à hydrogène. Le motoriste ABC a déjà mis au point ce type de moteur et les puissances proposées peuvent permettre d’envisager son installation à bord d’un cargo transocéanique. L’étape technologique suivante consiste donc à développer des réservoirs capables d’alimenter ce type de moteur. A nouveau, la voie de l’hydrogène liquide fait l’objet de recherches de la part des industriels…

 La propulsion vélique adaptée aux cargos

Les technologies actuelles concernant la propulsion à hélice pure permettent de répondre à la deuxième phase du plan d’action de l’OMI mais pas d’envisager la mise au point d’un cargo transocéanique à mobilité zéro émission à court terme.

En plus de ces technologies, certains projets envisagent l’utilisation de voiles rigides ou de kite comme propulsion d’appoint sur les cargos transocéaniques à propulsion mixte hélice / vélique. Bien qu’ancestrale, la voile diversifie considérablement le profil opérationnel en puissance d’un cargo, explique Amaury Bolvin, cofondateur de Zéphyr & Borée, à France Info en novembre 2021. En soulageant la propulsion à hélice, les voiles permettent une réduction des émissions de CO2 : la start-up Airseas estime que son kite pourra réduire de l’ordre de 20% les émissions de CO2 des cargos. De son côté, l’entreprise Ayro estime que ses voiles rigides pourront réduire jusqu’à 45% les émissions de CO2 et la consommation en carburant des cargos. Ces chiffres ne peuvent être négligés et remettent la propulsion vélique sur le devant de la scène lorsqu’il s’agit de réduire les émissions d’un cargo transocéanique.

Le cargo à ailes d'Ayro
©Trade Wings 2500/VPLP/AYRO/ALWENA/SDARI

Les projets et recherches en cours laissent penser que la mobilité zéro émission des cargos transocéaniques polyvalents d’environ 5 000 tonnes de port en lourd n’est pas une utopie. A l’horizon 2025, l’Energy Observer 2, le premier démonstrateur de cargo de taille moyenne à mobilité zéro émission à assistance vélique, devrait voir le jour. Indépendamment de la technologie, atteindre un objectif de cargos transocéaniques à mobilité zéro émission nécessitera certainement de revoir l’utilisation de ces navires : par exemple, une réduction de leur vitesse peut permettre de réduire les émissions de manière importante, explique le président de l’entreprise armateur Louis-Dreyfus Armateur.

Gardons également à l’esprit que réduire voire annuler les émissions des cargos transocéaniques en opération ne doit pas faire oublier la nécessité de produire des carburants alternatifs et de créer les technologies de propulsion à partir de procédés qui doivent également être zéro émissions.

* selon la 4e édition de l’inventaire des émissions mondiales de gaz à effet de serre établie par l’Organisation Maritime Internationales (OMI)

** retrofit : une mise à jour technologique de la propulsion dans le but de réduire les émissions de polluants

Pour aller plus loin : Lire notre article sur les navires autonomes

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