Navires autonomes, c’est déjà demain…

La voiture autonome existe (ou quasiment). Elle offre des arguments positifs en termes de sécurité mais aussi aussi au niveau écologique, conduisant toujours mieux que nous, sans à-coup et à la bonne vitesse. Sur les bateaux, nous profitons depuis longtemps de pilotes automatiques. Mais aujourd’hui, ce sont des navires autonomes, navires de passagers sans équipage, qui se profilent à l’horizon.

Le principe de base des navires autonomes

Pourquoi vouloir faire naviguer un bateau sans équipage ? Pour les mêmes raisons que l’on cherche à faire fonctionner la voiture autonome ou que certains métros n’ont, aujourd’hui, plus besoin de conducteur. L’objectif est de limiter le risque d’accident (la machine est bien plus efficiente que l’homme) et surtout, pour limiter le coût de fonctionnement !

Le SOLEIL, un des premiers navires autonomes
Le SOLEIL, 222 m de long, est un navire totalement autonome. Impressionnant !

Un concept né au Japon

Le projet de bateau « sans équipage » le plus abouti est né au Japon. Il a pour nom Meguri 2040 et il est financé par la Nippon Fondation. L’idée de réussir à faire naviguer des bateaux sans équipage est venu d’un constat très simple : il y a aujourd’hui environ 2000 bateaux de tourisme opérant au Japon. La plupart de ces bateaux sont essentiels pour les locaux qui souhaitent rejoindre les différentes îles de l’archipel. Or, selon le ministère dont dépendent ces navires, en 20 ans, le nombre des marins qui mènent ces bateaux est en chute libre. Ils étaient 10 000 en 2000, ils sont 7 000 aujourd’hui. Soit une baisse de 30% en 20 ans. Il faut donc trouver une solution technique à ce manque de marins qui devient criant.

Des premiers tests réussis

Après deux ans de travail, les premiers tests de navigations sans aucun équipage à bord ont montré – d’après les promoteurs du projet – un potentiel impressionnant. On connaissait les smartphones, nos fameux téléphones intelligents, voici maintenant les « smart vessels », les navires intelligents. C’est à bord d’un de ces bateaux – long de 222 mètres tout de même – que le dernier test de navigation totalement autonome a été validé. La navigation n’était pas anecdotique… 130 milles séparent Shinmoji (nord de Kyushu) de Lyonada. Et le bateau joliment nommé “SOLEIL” n’aura mis que seulement 7 heures (avec une vitesse maximum de 26 nœuds) pour atteindre son objectif. Le plus impressionnant est peut-être que ce navire a été capable d’appareiller, de naviguer 130 milles puis d’accoster de manière totalement autonome, sans aucune intervention humaine, ni à bord, ni à distance.

Caméras de détection
Les fameuses caméras qui détectent les obstacles et les autres navires…

Un peu de technique

Le navire d’essai est équipé d’un système d’analyse d’images et de très nombreux capteurs de haute précision avec des caméras infrarouges qui peuvent détecter d’autres navires même dans l’obscurité, un système de navigation de navire automatisé SUPER BRIDGE-X qui comprend une fonction d’évitement automatique et un système d’accostage et d’appareillage totalement géré par les ordinateurs de bord. Un gros travail a aussi été fait pour anticiper et prédire les éventuelles pannes, avec notamment une surveillance – forcément automatisée – des moteurs. Car le plus problématique pour les promoteurs du projet, est d’imaginer le bateau en panne, dérivant seul, sans personne à bord pour effectuer les réparations permettant de remettre en marche.

Le bateau-fantôme
Et si les bateaux-fantômes, littéralement les bateaux sans équipages, se multipliaient sur les mers ? (Ici le fameux Flying Dutchman par Charles Temple Dix (1860)

Et demain ?

Si le “SOLEIL” peut naviguer sur une distance de 130 milles, il n’y a pas de raison qu’il ne puisse – un jour – traverser un océan ou rejoindre l’Europe ou le continent américain au départ de l’Asie. Même si on ne peut imaginer que pour de telles navigations un équipage minimal ne soit à bord, on peut tout de même légitimement  angoisser à l’idée de se retrouver en mer, face à un bateau de plusieurs centaines de mètres de long totalement automatisé et uniquement dirigé par un ordinateur. Car que décidera ledit ordinateur, devenu le “captain”, si un bateau est en détresse dans sa zone ? Accoster ou appareiller, on peut sûrement l’apprendre à une machine. Mais comment lui faire prendre conscience des enjeux quand des vies humaines sont en question ?

Enfin, le véritable enjeu est avant tout économique. On sait qu’en limitant la vitesse des navires de commerce, on diminue drastiquement la consommation de carburant (voir notre article : « A deux nœuds près »). Mais ce n’est aujourd’hui pas vraiment rentable, car le temps de navigation augmente et le coût de l’équipage aussi (dans la marine marchande actuelle, le coût de l’équipage représente environ 30% des coûts d’exploitation d’un navire). Avec un navire sans équipage, on gagnera sur les deux tableaux : on peut baisser la vitesse, économiser du carburant et gagner les 30% d’exploitation que représente l’équipage.

Aujourd’hui, si plusieurs tests sont menés dans le monde – au Japon, comme on vient de le voir, mais aussi en Norvège, en Finlande ou au Royaume Uni et en Chine – la législation internationale impose encore une veille active et systématique à bord de tous les bateaux. Pour combien de temps encore ?

L’avis d’un pro

Mathieu Lerat
Directeur Armement DTM
Diplômé d’Etat en Architecture Navale
Capitaine de 1ère classe en Navigation Maritime

« Naviguer c’est aussi savoir faire preuve d’un grand sens de l’adaptabilité, en tranchant parmi des listes à choix, ou options, multiples de navigation par le seul « bon sens marin ». Qui relèvent beaucoup plus du vécu et du ressenti, que de la somme mathématique d’information sur un environnement ou des paramètres machine donnés. Le défi des A.I. (intelligence artificielle) pour la conduite de navires est donc de pouvoir retranscrire ou s’approprier ce « bon sens ». On le voit très bien au niveau de la course au large où les fichiers météo et paramètres hydro-aéro sont triturés, analysés, compilés, comparés, hypothétisés. Les options des navigateurs sont-elles pour autant rigoureusement celles des routeurs ?

En mer, pas de repères autres que les astres mobiles d’un ciel changeant sur mer changeante. En mer pas de règles de priorité mais seulement des privilèges et des signaux sonores ou lumineux pour préciser une intention de route, comme une forme de gentleman agreement. Le travail législatif pour permettre de structurer et codifier une navigation de navires autonomes peut-il se satisfaire du « oui mais » ou du « peut-être » ?

Sans aucun doute nous arriverons aux navires autonomes. Probablement même assez vite sur les trajets courts pour du passager ou du feedering et d’autres plus longs comme du vrac nécessitant peu de monitoring, minerais vers usine, céréales. Mais avant de parler d’économie de personnel et de lister les accidents de mer qui ont, dans leur grande majorité des causes humaines, a-t-on réellement quantifié les accidents évités, cargaisons préservés et économies réalisées par les marins ? »

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