Quel est le point commun entre cargos transocéaniques et course au large ? A première vue le cargo, même doté d’une assistance vélique, ne sort pas du même monde que le voilier de course au large… la réalité est tout autre. Forme de carène, appendices, voiles et même prédiction de la météo sont étudiés avec des technologies semblables en vue d’une fin commune : la performance du bateau.
La performance : une quête “presque” similaire
Que ce soit pour la course au large ou dans le cadre d’un cargo transocéanique, l’architecte et l’ingénieur naval travaillent en vue d’un objectif : la performance. Cette performance résonne dans nos têtes comme une quête de vitesse. Pour gagner, le voilier devra aller plus vite que ses concurrents. Pour un cargo, la quête de performance se fait dans une autre mesure : un cargo performant ne sera pas un cargo plus rapide que ses homologues mais il sera capable de traverser un océan en consommant le moins de carburant possible. Et de fait, en émettant le moins de polluants possible (Voir notre article sur la mobilité zéro émission).
Une finalité et des processus d’optimisation communs
La finalité est donc la performance du navire. Et pour y parvenir, les moyens utilisés dans le cadre d’un projet de course au large ou de cargo transocéanique sont sensiblement les mêmes. Pourquoi ? Simplement parce que l’optimisation d’un voilier de course ou d’un cargo transocéanique peut être grossièrement décrite en trois points majeurs.
Le premier point porte sur L’optimisation de la coque qui améliore les performances du navire comme le titre le média Eurisles dans son article du 30 juin 2020. Deuxièmement, l’étude de l’aérodynamisme du navire est inévitable dans la quête de performance. En témoigne, par exemple, les travaux de carénage du bras arrière sur les trimarans de la classe Ultime, initiés il y a quelques années par l’équipe Gitana. Ou encore, les études du groupe CMA-CGM afin de placer des déflecteurs d’air sur leur porte-conteneurs. Une fois ces deux points d’optimisation appliqués, le navire mis au point est performant. Néanmoins, pour évaluer numériquement cette performance sur une route donnée, le troisième et dernier point auquel est confrontée l’équipe est de faire évoluer son bateau au travers de conditions météorologiques variables (vent, vagues et courant).
C’est finalement dans la réalisation de ces trois points d’optimisation du navire que l’équipe d’ingénieurs utilise des processus sensiblement similaires pour un voilier de course au large que pour un cargo transocéanique…
Des processus tirés de la course au large
Dans un article de décembre 2020 publié dans Voiles et voiliers, Erwan Jacquin, responsable de la direction Recherche et Innovation de CMA CGM, explique avoir utilisé le code de calcul développé pour travailler sur la carène du trimaran de course Groupama 2.
Afin d’optimiser la forme des bulbes de la flotte de navires de CMA CGM, « j’ai effectué les calculs pour VPLP et Martin Fischer, a-t-il déclaré. Et Groupama allait au final 2 nœuds plus vite que tout le monde, que ce soit en simulation numérique, en bassin de carène, ou en course. J’ai utilisé ce même code de calcul pour optimiser les formes des bulbes à l’avant des navires de CMA CGM. Ainsi, nous avons entamé à partir de 2010 une campagne de retrofit de bulbe de toute la flotte. Ce qui nous permet de gagner entre 5 et 10 % de consommation, et donc d’émission de gaz à effet de serre.»
Outre l’utilisation de codes de calcul communs, l’utilisation du routage météorologique, longtemps destiné à la course au large, se démocratise aux cargos transocéaniques à assistance vélique. D-ICE Engineering a mis au point SATORI : un outil de routage météorologique statistique permettant d’évaluer les performances d’un navire au travers des conditions météorologiques. Maxime Dupuy, en charge du développement du logiciel, déclare dans un article posté sur le site BoatIndustry.fr en décembre 2020 : « On a utilisé Satori pour le team Banque Populaire, après la Route du Rhum, pour le design du nouveau trimaran ». Et il ajoute : « Cela fait quelques années que l’on développe des algorithmes de routage statistique, notamment pour les projets de navires hybrides à voile, comme Neoline ou Canopée ». Un réel transfert technologique a lieu entre la course au large et les cargos transocéaniques à assistance vélique.
Quand la course au large sert de démonstrateur
Avec le retour des voiles sur les cargos, les technologies de la course au large et des cargos semblent se rapprocher encore plus. Sur un cargo, il faut à présent être capable d’optimiser l’utilisation des voiles comme sur un voilier de course pour qu’elles portent au maximum le navire. Cette proximité des technologies est telle, que l’IMOCA de Jean Le Cam pour le Vendée Globe 2020/2021 a servi de démonstrateur au projet Solid Sail, la voile rigide imaginée par les Chantiers de l’Atlantique pour propulser leur navire. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les performances de certaines technologies destinées aux cargos transocéaniques (ou aux autres navires de transports maritimes) sont confortées sur des voiliers de course avant leur développement à échelle réelle.