Début Mai 2023, 40 départements français étaient déjà en « vigilance » ou en « alerte » et trois en « crise » concernant l’état de leurs nappes phréatiques… Une situation inédite qui est amenée à se répéter et à s’amplifier d’après un consensus scientifique aujourd’hui reconnu par tous. Mais le problème dépasse largement les frontières françaises ; toute l’Europe, mais aussi les continents américains, africains et asiatiques sont aussi touchés. La guerre de l’eau que les « intégristes écolos » annoncent depuis des années est-elle inéluctable ?
Été 2022, la France découvre que le changement climatique est une réalité : sécheresse, incendies gigantesques, limitations des consommations d’eau (coupures partielles ou totales, interdiction d’arroser son jardin, de remplir sa piscine ou de laver sa voiture), le pays entre de plain-pied dans le « monde d’après », celui où l’eau est devenu une denrée rare et précieuse.
Pourtant la France est plutôt dans une bonne situation concernant l’eau douce. Cette ressource (eau de surface, donc cours d’eau et lacs et nappes phréatiques) se renouvelle selon un volume moyen de 210 milliards de m³ par an (voir étude ici) que ce soit via les précipitations ou par les fleuves ou rivières arrivant des pays voisins. Les estimations sur les prélèvements tournent autour des 30 à 40 milliards de m³ par an. Nous sommes donc largement pourvus en eau douce, mais…
Une denrée vitale largement présente mais… répartie inégalement !
L’eau douce, cette ressource indispensable à notre existence est donc largement présente en France, mais aussi à l’échelle du monde. Le problème est qu’elle est répartie de manière totalement inégalitaire.
Un exemple ? Neuf pays sur 195 détiennent ainsi 60 % des ressources en eau douce dans le monde (Canada, Chine, Colombie, Pérou, Brésil, Russie, USA, Indonésie et Inde). Largement de quoi créer des tensions entre ceux qui sont largement pourvus et les autres.
Si aucune « guerre de l’eau » n’a réellement jamais eu lieu dans l’histoire au sens strict, de nombreux conflits ont eu pour origine l’appropriation d’un fleuve, d’une côte ou d’une mer ou encore la volonté d’un peuple de contrôler une source indispensable à sa survie, source pourtant situé sur un territoire étranger.
Les exemples ne manquent pas, dont la fameuse conspiration de Leonard de Vinci et Machiavel qui, en 1503, avaient imaginé détourner l’Arno, le fleuve qui coule à Florence et à Pise afin de priver les Pisans de cette eau indispensable à leur survie. La guerre des 6 jours trouve aussi une partie de ses origines dans la construction d’un aqueduc détournant les eaux du Jourdain au profit d’Israël sans négociation avec ses voisins (entre 1953 et 1959) tandis que la Syrie et la Jordanie tenteront de détourner le haut-Jourdain pour priver Israël d’une partie importante des eaux du fleuve en 1964. Résultat : une vive tension entre tous les états de la région et finalement… la guerre des 6 jours en 1967 !
Des batailles d’usage à venir
Plus qu’une « guerre de l’eau », on devrait plutôt assister dans les années à venir à des conflits d’usage. En clair, il va falloir définir qui va avoir le droit de puiser dans les réserves et dans quels buts : remplir sa piscine, arroser les golfs, irriguer des plantations voraces en eau ou accepter des concepts d’élevage nécessitant des centaines de litres d’eau par kilos de viande produit ou plus simplement arroser son jardin ou laver sa voiture !
Car, si nous avons suffisamment d’eau douce – on utilise en moyenne dans le monde 80 % des réserves d’eau douce disponible chaque année – la demande se répartit inégalement entre agriculture (69%,) avec des besoins en augmentation constante, industrie (20%) et eau domestique (12%).
La problématique – comme on l’a vu l’été dernier et comme cela semble se dessiner pour les années à venir – c’est le manque de précipitation et donc de remplissage des nappes phréatiques. L’eau douce commence à manquer dans de très grandes zones créant des conflits entre usagers de plus en plus importants. Pour l’instant, on assiste surtout à des conflits d’usage entre citoyens mais qu’en sera-t-il quand un pays décidera de pomper toute l’eau disponible d’un fleuve pour irriguer ses plantations (de maïs par exemple) ne laissant qu’un filet d’eau aux pays en aval ?
Actions/réactions !
Pour éviter le pire, la solution va forcément consister à trouver des accords entre les parties. Et ça pourrait ne pas être très simple. Car au-delà de la simple consommation d’eau et de l’idée assez simpliste de surtaxer les gros consommateurs, il faut bien comprendre que la réalité de la consommation d’eau doit prendre aussi en compte la notion d’eau invisible.
L’eau invisible ou eau virtuelle (d’après le concept de J.A. Allan) est l’eau douce que nous consommons au travers de nos achats. Un hamburger ? 3000 litres d’eau. Un kilo de café ? 18900 litres. La consommation moyenne d’un français pour se nourrir et s’habiller est ainsi de… 4 900 litres d’eau par jour !!! Eau douce qui est le plus souvent consommée à des milliers de km de la France !
Nous sommes de plus en plus nombreux sur terre, nous consommons de plus en plus d’eau douce et cette même eau douce a tout simplement tendance à être moins disponible. Voici la difficile équation qu’il va falloir résoudre dans les années à venir.
Dessaler l’eau de mer, une solution réaliste ?
Tous les navigateurs le savent : dessaler l’eau de mer est possible, mais cela consiste à transformer du fuel en eau douce. C’est cher, long et fastidieux !
Le procédé est assez simple, on l’appelle l’osmose inversée. On fait passer l’eau de mer dans une membrane très fine. Avec une forte pression, le sel reste d’un côté, l’eau douce de l’autre. Le souci est que cela demande énormément d’énergie (le plus souvent fossile) dont le coût est important. L’énergie utilisée produit de plus des gaz à effets de serre qui vont amplifier le dérèglement climatique. Le modèle est donc tout sauf vertueux.
Enfin, une fois l’eau dessalée, on se retrouve avec du sel qui est le plus souvent rejeté dans les eaux en grande quantité (sans compter les nombreux résidus chimiques permettant de rendre l’eau dessalée potable). Une bombe pour la biodiversité marine locale et une opération qui va participer à l’acidification des océans. Pour en savoir plus sur le dessalement de l’eau de mer et les problématiques associées, voici une étude particulièrement intéressante.
La guerre de l’eau n’aura peut-être pas lieu, mais celle liée aux déplacés climatiques… Si !
Le climat change. On le sait depuis longtemps, mais on semble découvrir seulement maintenant clairement ce que ça signifie. Et ces changements vont s’amplifier et aller de plus en plus vite… Les solutions telles que le dessalement d’eau de mer, les retenues d’eau type mega-bassines (avec les pertes liées à l’évaporation et les conséquences graves sur les écosystèmes ou le bilan sédimentaire des fleuves) ne semblent pas permettre de résoudre les problèmes à venir de manière pérenne et satisfaisante.
La gestion de la ressource « eau douce » sera forcément l’un des enjeux essentiel de la seconde partie du XXIe siècle.
Si les évolutions technologiques vont sûrement aider à trouver des solutions, il serait hasardeux de ne compter que sur « le miracle de la blouse blanche » (Concept qui laisse à penser que les chercheurs vont trouver une solution “magique” à tous les problèmes…).
La réalité est qu’il faut anticiper une société où l’énergie pas chère et l’eau douce en abondance n’est plus qu’un souvenir. Et ça, seul le politique peut et doit s’en saisir. Tout comme le corollaire du manque d’eau à venir, à savoir la gestion des déplacés climatiques…
