Migrations : Routes maritimes mortelles

Depuis 2020, de plus en plus de migrants empruntent la route maritime qui part des côtes africaines vers les Canaries, une des plus dangereuses et mortelles des quatre principales routes vers l’Europe. L’épidémie de COVID-19 et la fermeture des frontières sont-elles responsables de ce nouveau drame humanitaire ? Un rapport de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) pointe du doigt l’absence de politique commune entre l’Union européenne et l’Afrique pour une gestion sécurisée et humaine des migrations.

La route des Canaries : un couloir de la mort

Avec les premiers naufrages enregistrés, 1999 marque le début d’une nouvelle odyssée vers les îles espagnoles des Canaries. Des dizaines de milliers de migrants fuient la misère, au départ du Maroc, de Mauritanie ou même du Sénégal. Depuis cette date, plus de 3 000 personnes sont décédées ou portées disparues au large des côtes africaines. Selon un nouveau rapport de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) publié début 2021, on dénombre plus de 850 morts en mer pour la seule année de 2020, contre 210 en 2019 et moins d’une cinquantaine chaque année entre 2014 et 2018.

Ce rapport précise que la route vers les Canaries est d’abord particulièrement dangereuse de par sa longueur. En effet, si le point le plus proche avec la côte africaine est de 95 km (soit 51 milles), la plupart des départs de migrants se font depuis Dakhla, à l’extrême sud du Maroc ou de Nouadhibou en Mauritanie. Ce qui représente respectivement des trajets de 450 et 775 km (242 et 418 milles nautiques), soit plusieurs jours voire plusieurs semaines de navigation dans des embarcations précaires en plein Océan Atlantique. Aux dangers de la mer s’ajoutent la faim et la soif. Des causes de mortalité qui laissent penser que le chiffre des 3 000 victimes est bien en-deçà de la réalité.

Les causes du recours à la route des Canaries ?

Longtemps délaissée, justement à cause de sa dangerosité, la route maritime des Canaries semble connaître, depuis octobre 2020, un regain d’intérêt pour des populations issues majoritairement du Maroc, du Mali ou du Sénégal. Selon l’OIM, ces populations qui vivent essentiellement de la pêche ou de l’agriculture, ont été durement impactées par les mesures restrictives liées à la pandémie de COVID-19. Loin d’être un frein aux motivations des personnes désirant migrer, la pandémie a donc joué un rôle d’accélérateur en augmentant le facteur économique des migrations. De plus, la fermeture des frontières avec l’Union européenne depuis de nombreux pays a condamné plusieurs des autres routes migratoires, poussant ainsi les gens à risquer davantage leur vie pour tenter de la sauver.

Mais le vrai coupable, dans cette nouvelle crise humanitaire, c’est l’absence d’une politique commune entre l’Afrique et l’Union européenne. En effet, l’UE ne conçoit sa politique migratoire qu’en fonction du nombre de personnes qui arrivent sur le sol européen, sans prendre en considération que ce nombre est extrêmement faible par rapport aux mouvements de population dans leur globalité. Selon les chiffres du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) on estime à 200 millions le nombre de migrants internationaux (3% de la population mondiale). Mais seulement 37% des migrations dans le monde ont lieu d’un pays en développement vers un pays développé. Et à titre d’exemple, en 2018 moins de 3,94 millions de personnes ont immigré dans l’un des 27 États membres de l’UE, dont 1 million en provenance d’un autre État membre. Dans le même temps, 2,61 millions de personnes ont quitté l’un des pays de l’UE.

Pour une meilleure prise en charge des flux migratoires

Il est tout d’abord fondamental que la dimension humaine soit remise au centre de toutes les réflexions. Le droit à la dignité et à la vie, de même que le droit d’asile sont des droits inaliénables qui ne doivent plus être bafoués, rappelle le rapport qui demande expressément l’augmentation des moyens de recherche et de sauvetage sur toutes les routes maritimes, en particulier celles qui comprennent les plus longs trajets. 

De plus, selon l’OIM, ces moyens doivent être mis en place par les États européens et africains qui, afin de réduire encore le nombre de morts, doivent absolument travailler ensemble à la création de routes migratoires légales pour encadrer et protéger les migrants.

Les autres voies maritimes migratoires

La première voie maritime, appelée « route Méditerranéenne centrale » part d’Afrique du Nord (majoritairement de Libye, mais aussi de Tunisie, d’Algérie ou d’Égypte) vers les îles du Sud de l’Italie et Malte. Avec un record de près de 62 700 migrants enregistrés en Italie en 2011 (contre moins de 10 000 entre 2009 et 2010), cette liaison migratoire entre les deux continents a été la plus empruntée jusqu’en 2017. Ce chiffre a ensuite considérablement baissé, notamment à cause du changement de stratégie d’interception par les autorités italiennes. Celle-ci a réduit les patrouilles en mer et déployé des drones incapables d’assurer des missions de sauvetage. Ce sont donc les gardes-côtes libyens et tunisiens qui ont assuré la plupart des interceptions, reconduisant ainsi jusqu’à 49% des migrants en 2019 sur le sol nord-africain. Cette voie maritime migratoire reste encore aujourd’hui la plus mortelle avec plus de 17 300 personnes disparues depuis 2014.

La route maritime qui passe par l’Est de la Méditerranée depuis la Turquie vers la Grèce a été la principale voie empruntée en 2015 avec plus d’un million de personnes qui ont tenté la traversée, essentiellement des Syriens, Irakiens et Afghans fuyant les conflits dans leurs pays. Le nombre de migrants empruntant cette route a ensuite considérablement baissé après l’accord de mars 2016 entre l’UE et la Turquie. On déplore près de 1 700 morts dont 500 enfants depuis 2014.

Enfin, la route de l’Ouest qui passe par le détroit de Gibraltar vers l’Espagne, est la plus ancienne puisqu’elle est empruntée depuis l’instauration des visas par les accords Schengen en 1991. Entre 2000 et 2016, ce sont près de 7 000 personnes par an qui ont effectué la traversée. Mais en 2018 sur les 188 000 migrants qui se sont lancé à l’assaut du détroit, 56 000 d’entre eux ont atteint les côtes espagnoles, les autres ayant été interceptés et reconduits sur le sol marocain. Ce chiffre a ensuite été réduit de 50% en 2019. Au total, 2 200 personnes ont disparu en mer depuis 2014.

Source : Black, J., 2021. Maritime Migration to Europe: Focus on the Overseas Route to the Canary Islands. IOM. Geneva

Crédits photo couverture : UNHCR – A. Rodríguez

Partager sur :

AUTRES ARTICLES