Avec une flotte estimée à plus de 6500 navires de pêche hauturiers, la Chine est la maîtresse incontestée des eaux internationales. Elle tire de cette flotte un revenu considérable et y impose des méthodes et conditions de travail innommables. Autant vous le dire tout de suite, le poisson que vous mangez a vraisemblablement été pêché par des esclaves modernes…
Une flotte de pêche hauturière chinoise omniprésente
Pour donner une idée précise de la puissance de la Chine en ce qui concerne l’industrie de la pêche, commençons par quelques chiffres éloquents :
- La flotte chinoise opère aujourd’hui à partir de plus de 95 ports à travers le monde, sans compter bien sûr les ports chinois. Ports que le pays a – au moins en partie – financés…
- La Chine reconnaît aujourd’hui avoir une flotte de 2 700 navires de pêches hauturières. Mais ce chiffre est, de l’avis de tous, très largement minoré. Pourquoi ? Parce qu’avec cette flotte, la Chine étend son “soft power” auprès des pays en développement. Elle nourrit le monde entier à bas prix avec des produits de la mer de plus en plus recherchés et… vide les ressources en pêchant dans les eaux internationales des quantités jugées astronomiques par les spécialistes.
- La réalité de la flotte de pêche hauturière chinoise semble être plus proche des 6 500 unités. Pour donner une idée de l’extraordinaire puissance de cette flotte, il suffit de savoir que les USA possèdent environ 300 bateaux de pêches hauturières, un chiffre identique à celui de l’Europe…
- A bord de ces bateaux chinois, la protection sociale des dizaines de milliers de marins (essentiellement chinois ou indonésiens, mais aussi originaires de Corée du Nord) est inexistante. La Chine ne respecte pas ou que très peu les lois internationales et les conflits inhérents à cette flotte razziant tout sur son passage dans des eaux protégées ou au moins contestées sont légions.
Des marins-pêcheurs ? Non, des esclaves !
L’histoire des marins de cette armada est souvent la même : chinois ou indonésiens, ils vivent dans des régions pauvres où le chômage fait rage. Leur seule et unique solution pour nourrir leur famille est alors d’accepter d’embarquer sur ces navires pour plusieurs mois, sans jamais faire escale. Avec cette embauche, ils espèrent revenir au pays avec un pactole. La réalité est souvent encore plus terrible que ce qu’ils pouvaient imaginer avant d’embarquer pour ce monde dont ils ignoraient tout.
A bord des bateaux, le travail est extrêmement pénible et dangereux. The « Ocean Outlaw Project » a ainsi pu suivre le quotidien de marins à bord des bateaux de pêche aux calamars. Un enfer sur mer !
La vie de marin pêcheur n’est déjà pas facile. C’est d’ailleurs l’une des professions qui affichent le taux de mortalité le plus élevé au monde. Mais, toujours d’après l’enquête de « The Ocean Outlaw Project », ce taux semble exploser dans la flotte de pêche chinoise. On y trouve tout ce qui qualifie l’esclavage moderne : la servitude pour dettes, les violences physiques, la rétention des passeports. L’ONG britannique Environnement Justice Foundation a ainsi pu interroger 116 marins indonésiens qui ont travaillé à bord de cette flotte si particulière. Entre septembre 2020 et août 2021 ils ont tous (enfin à 97%) fait état de servitude pour dettes ou de confiscation de leurs documents d’identité. Et bien sûr, une partie plus ou moins importante des sommes qui leur avaient été promises ont été retenues pour des raisons obscures et non mentionnées avant l’embarquement… 58% de ces 116 marins avaient aussi été victimes ou témoins de violences physiques !
Pour être concret, l’enquête de « The Ocean Outlaw project » montre que les agences de recrutements qui envoient de nombreux indonésiens trimer sur les navires de pêche chinois promettent monts et merveilles – et notamment une nouvelle vie à leur retour – qui ne sont de fait que des chimères. Alors que le salaire promis est de 450 dollars par mois (payé en une fois, à leur débarquement, ce qui est déjà illégal), moins une quote-part de 50 dollars mensuelle pour la nourriture, les marins embarqués ne touchent au mieux que 300 dollars par mois pour des raisons jamais très clairement expliquées. Pire, ces marins peuvent être redevable d’une somme pouvant aller jusqu’à 1000 dollars s’ils quittent le navire avant la fin de leur contrat. Fin de contrat qui est difficile à appréhender, car si le bateau (qui reste en haute mer tout le temps – il a des rendez-vous mensuels pour vider ses cales et se ravitailler) n’est pas proche « d’un port de débarquement pratique », le capitaine est autorisé à prolonger autant qu’il le souhaite, le contrat de ses marins…
Une puissance de pêche sans concurrence…
L’histoire de la montée en puissance de la flotte de pêche chinoise date du milieu des années 80. A l’époque, l’entreprise d’état China National Fisheries Corporation envoie 13 chalutiers travailler au large de l’Afrique de l’Ouest. Cette opération est un succès. La fin de l’URSS, qui a longtemps dominé cette activité de pêche dans le monde, va offrir l’occasion à la Chine de prendre une place de choix dans cette industrie en plein bouleversement. Le prix du pétrole, mais aussi la mise en place d’un droit du travail plus contraignant dans la plupart des pays et des règles environnementales de plus en plus strictes, vont laisser la place aux bateaux chinois qui restent, eux, compétitifs en ne respectant ni les uns, ni les autres…
Résultats : une flotte pléthorique, des ports partout dans le monde, des usines de transformations, des bateaux frigorifiques et la Chine est passé de 90 millions de tonnes de produits de la mer pêchés en 1988 à… 2 269 millions de tonnes en 2020 !
Au-delà des sommes faramineuses que cette flotte ramène au pays, le secteur de la pêche permet de créer de très nombreux emplois dans le pays et donc de nourrir sa population et enrichir la classe moyenne chinoise. Mais aussi (et peut-être même surtout) à se positionner comme un interlocuteur majeur sur de nombreux territoires et à renforcer – encore un peu plus – l’influence de la Chine dans de nombreux pays en développement.
Sans compter que la puissance de la flotte chinoise, la quantité de bateaux disponibles fait craindre une appropriation des eaux internationales. La seule Chine peut en effet vider les ressources sans aucun contrôle de qui que ce soit…
…Et des dégâts humains et écologiques incalculables !
La flotte chinoise n’est pas seulement la plus importante au monde en employant des milliers de marins dans des conditions monstrueuses, elle est aussi au premier rang mondial de la pêche illégale. Un rapport du parlement européen publié en 2022 est à ce propos édifiant : Entre 1980 et 2019, les cas de pêche illicite (non déclarée et non réglementée) touchaient la flotte chinoise de pêche au calamars, dans 50% des cas qui avaient pu être identifiés … Cette pêche illégale est ainsi en train de vider les stocks de calamars, mais aussi de toutes les autres espèces que ces bateaux usines exploitent sans se soucier du droit du travail et de la préservation des océans…
Et le tout sans compter les usines de transformations chinoises où le droit du travail n’est, là encore, pas du tout suivi. On y retrouve de nombreux travailleurs ouïgours qui ont été déplacés par dizaines de milliers depuis une dizaine d’années. Par ailleurs, le Stimson Center a démontré que les produits de la mer transformés dans ces usines sont quasiment impossibles à tracer. Résultats : on consomme partout dans le monde des calamars (et autres produits de la mer) pêchés illégalement et dans des conditions innommables par des marins réduits à l’esclavage.
Alors, quelles sont les solutions pour tenter d’éviter ces catastrophes humanitaires et écologiques majeures qui s’annoncent à très court terme avec cette gigantesque flotte chinoise qui n’obéit à aucune règle ? Déjà, il faudrait réussir à faire appliquer les résolutions de l’ONU sur l’exploitation des eaux internationales. Ce qui ne sera pas une mince affaire…
Et cela ne résoudra absolument pas la situation dans les eaux nationales (ou les eaux contestées) des pays qui laissent la Chine piller leurs ressources contre divers subsides.
Si la solution “magique” n’existera jamais, on peut quand même faire attention à ce que nous consommons. Connaître la provenance des produits que nous achetons, savoir dans quelles conditions ils ont été pêchés et transformés et – comme pour la viande – préférer consommer moins souvent un produit de meilleure qualité permettrait de mettre un peu de pression sur une industrie qui n’existe… que parce que nous acceptons de consommer ce qu’elle veut nous faire acheter !
Chiche ?
