Les Sargasses sont des algues brunes que l’on trouve en grande quantité, flottantes dans l’océan atlantique dans ce qu’on appelle la « mer des Sargasses ». Cette mer et ses algues ont été décrites par Christophe Colomb lors de son premier voyage vers les Amériques en 1492. Mais depuis 2011, les Sargasses viennent s’échouer en quantité sur les côtes antillaises, sans que l’on ne sache vraiment pourquoi. SEAtizens a enquêté pour tenter de comprendre ce phénomène particulièrement inquiétant.
La mer des Sargasses
Quand ils découvrent une zone littéralement remplie d’algues, dans laquelle il est compliqué d’avancer tant elles sont compactes, les marins de Christophe Colomb imaginent la fin de leur calvaire et pensent approcher des terres. Personne n’a, en effet, jamais vu autant d’algues concentrées en un même endroit en pleine mer. Pourtant, la Santa Maria, la Pinta et la Niña sont encore loin du compte, la mer des Sargasses s’étendant grosso modo de 70 à 40° ouest de longitude (et de 25 à 35° de latitude nord). Soit un espace gigantesque entre l’Irlande et les Bermudes de 1100 km de large sur 3200 km de long…
Ce que tous les marins qui suivront les traces de Colomb apprendront vite, c’est que cette mer est réputée pour ses calmes qui rallongent les temps de traversée.
Cette zone et cet amoncellement d’algues sont bien connus aujourd’hui. Elle existe grâce à la force de Coriolis qui crée un vaste courant marin circulaire chaud autour de l’Atlantique en partant de la partie sud du Gulf Stream. Ce courant circulaire enserre une zone calme et plus froide.
Les courants y emmènent tout un tas d’objets flottants dont… des algues, les fameuses Sargasses.
Mais d’où viennent ces algues ?
Un phénomène bien connu et une nurserie sous-marine
Sargassum Fluitans et Sargassum Natans sont les plus représentées dans cette mer des Sargasses. Il s’agit d’espèces de la même famille (Sargassaceae), des algues brunes flottantes proches de la surface et qui ont un rôle déterminant.
– Comme tous les végétaux, les Sargasses absorbent du CO2 – l’océan permet, il faut le rappeler, d’absorber 30 % du CO2 émis dans l’atmosphère.
– Dans ce lieu particulièrement pauvre en éléments nutritifs, les radeaux flottants d’algues concentrent une vie riche (poissons et oiseaux qui profitent de cette nourriture abondante), dont les excréments nourrissent directement les algues qui, du coup, se reproduisent naturellement et en quantité…
La biologie, c’est magique !
Bref, les Sargasses profitent et se sentent bien en plein Atlantique depuis (très) longtemps. Et depuis au moins aussi longtemps, on voit sur les plages de Floride (essentiellement dans l’archipel des Keys), mais aussi dans les îles Caraïbes ou au Mexique des arrivées et des échouements plus ou moins importants de ces algues sur les côtes.
Et puis…
Depuis 2011, des tonnes de Sargasses qui pourrissent tout.
En 2011, une vague d’échouages sans précédent touche quasiment toutes les îles des Antilles et les côtes du Mexique. Dans certains endroits, on trouve des épaisseurs d’algues de plus d’un mètre de haut. Entre 20 et 40 000 tonnes en Guadeloupe en 2011, idem en Martinique et dans beaucoup d’autres îles limitrophes.
Toute l’année, les arrivées de ces radeaux d’algues qui s’échouent sur les côtes se suivent et se ressemblent. Et puis… plus rien pendant un an. Et rebelote en 2013 et 2014. A nouveau en 2016, 2018 etc.
2023 s’annonce d’ores et déjà comme une année record.
Un problème, pas de solution…
Ces arrivées massives d’algues sur les rivages posent plusieurs problèmes dont un essentiel de santé publique : une fois échouées, les Sargasses pourrissent au soleil et dégagent de l’hydrogène sulfuré, un gaz toxique à l’odeur connue d’œuf pourri. Les touristes fuient la puanteur et les habitants fragiles risquent des irritations du nez et de la gorge pouvant – au moins théoriquement – causer la mort. La faune et la flore ne sont pas en reste, étouffées par ces énormes épaisseurs d’algues. Les rangers du parc national de Guadeloupe récupèrent ainsi de nombreux poissons morts, tandis que les plages, lieu de ponte naturel des tortues deviennent inaccessibles.
Les conséquences environnementales sont donc importantes. Mais l’impact socio-économique de ces échouements encore plus graves (aux yeux des pouvoirs publics). De nombreuses recherches ont été lancées depuis une dizaine d’années pour comprendre le phénomène et tenter de trouver des solutions.
Pour l’instant, les solutions se limitent à ramasser les algues sur les plages et à installer des barrages pour empêcher les arrivées sur les littoraux. Dans un cas comme dans l’autre, le résultat est un peu « un pansement sur une jambe de bois ». Les barrages cassent sous la pression et le ramassage se heurte à des problématiques d’organisation sur des plages peu accessibles obligeant la récupération des algues à la seule force humaine… Bref, ça ne résout rien ou pas grand-chose.
Depuis 2011, une invasion inexpliquée… ?
Plusieurs études ont été menées par des océanographes reconnus pour tenter de comprendre ce phénomène récent d’invasion. Différentes pistes ont été explorées mais… à ce jour, il n’y a pas d’explication claire à ce déferlement de Sargasses sur les côtes des Antilles et du continent américain (Amérique Centrale, Brésil) mais aussi en Afrique de l’Ouest !
En 2020, une étude publiée dans la revue Progress in Oceanography explique que des vents plus forts qu’en moyenne ainsi qu’un évènement inhabituel du NAO (la fameuse Oscillation Nord-Atlantique) auraient entraîné une migration des Sargasses de la mer où elles se trouvaient traditionnellement, vers le Sud. Toujours selon cette étude, les algues y auraient trouvé des conditions encore plus favorables à leur développement et leur prolifération viendrait de là. Cette explication est aujourd’hui l’une des hypothèses reconnue comme la plus plausible par la communauté scientifique.
En 2019, une autre étude publiée dans Science montre, grâce à des images satellites impressionnantes de la NASA, que la masse des Sargasses évaluée à plus de 20 millions de tonnes, rejoint aujourd’hui le golfe du Mexique, les Antilles et l’embouchure de l’Amazone à l’Ouest, et la côte Ouest de l’Afrique sur plus de 8850 km.
Cette « ceinture » de Sargasses rejoint donc trois des plus grands fleuves au monde, l’Amazone et l’Orénoque à l’ouest et le fleuve Congo à l’Est. « Une hypothèse, largement rapportée dans la littérature scientifique, propose que cette prolifération résulte d’une augmentation des apports en nutriments provenant des fleuves tropicaux, avance Julien Jouanno, océanographe à l’IRD. Ces apports seraient dus au changement climatique, à l’utilisation des terres et/ou à l’urbanisation croissante ».
Ces trois fleuves représentants à eux seuls 21 % du débit fluvial mondial, leur apport est forcément tout sauf négligeable. De plus, la déforestation et l’utilisation toujours plus importante d’engrais en amont de ces fleuves entraînent des rejets considérables dans l’océan atlantique tropical.
L’invasion des Sargasses vient-elle des activités humaines ?
Pas si sûr… L’étude coordonnée par le LEGOS visant à évaluer le rôle réel de ces trois grands fleuves sur la prolifération des Sargasses explique parfaitement que, si les apports en nutriments venant de ces fleuves augmentent significativement depuis des années, ils n’expliquent pas forcément l’évolution que nous vivons depuis une dizaine d’années. Et surtout, il n’y aurait pas de lien entre l’augmentation des apports en nutriments et les pics de dépôts des Sargasses sur les plages. Dernier point et non des moindres que démontre cette étude, seuls 10 % de la biomasse annuelle des Sargasses sont dans les régions sous l’influence réelle de ces grands fleuves.
Alors ?
Les problèmes de santé publique que génèrent les Sargasses, mais aussi les dégâts socio-économiques poussent les décideurs à trouver des solutions pour évacuer les Sargasses des plages, tout en essayant de valoriser la ressource. Les chercheurs sont au travail pour comprendre le phénomène et expliquer cette prolifération aussi soudaine que mystérieuse à ce jour. Mais pour ceux qui vivent sur les littoraux touchés, c’est l’enfer des Sargasses qui continue…
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