Exploitation minière en eau profonde : que se cache-t-il sous la surface ?

Le parlement norvégien a voté l’autorisation de l’exploration minière des fonds marins arctiques le mardi 10 Janvier 2024. Ce n’est pas une excellente nouvelle mais on a tout de même évité le pire. Si vous n’avez pas tout suivi, SEAtizens vous propose un récap sur le sujet.

Exploitation minière des fonds marins

Depuis l’été 2023, l’extraction minière sous-marine est un sujet qui ne cesse d’enflammer les débats. 

En effet, la demande croissante en métaux rares, dopée par l’explosion des secteurs de l’électrique et de l’électronique, aiguise les appétits. Si les métaux nécessaires notamment à la fabrication des batteries se raréfient sur terre, il peut alors naître l’idée d’aller les chercher là où il reste des gisements inexploités : sous l’océan. 

Cela nécessite alors de passer à la pelleteuse les fonds marins pour aspirer vers la surface les ressources minières. 

Les scientifiques indiquent que cela aurait pour conséquence de détruire tous les écosystèmes présents. 

Or la biologie des fonds marins en eau très profonde est encore majoritairement inconnue, il est alors difficile de caractériser, prévoir et donc prévenir les conséquences globales liées à cette destruction. Possiblement, les répercussions tout au long de la chaîne alimentaire pourraient affecter l’entièreté de la faune et de la flore marine. En effet, de par les mouvements d’eau, tous les écosystèmes marins sont très interdépendants. 

Une expérience de simulation d’exploitation minière sous-marine a été menée dans un bassin sédimentaire au Pérou à la fin des années 80. Les constats des scientifiques sur la zone, 26 ans après la fin de l’expérience indiquent que la biodiversité a été définitivement et irrémédiablement endommagée. 

D’autres équipes de chercheurs craignent que les sédiments qui seront broyés au cours de l’extraction et qui ont été des puits de CO2 pendant des milliers d’années ne “relâchent” les gazs à effet de serre qu’ils contiennent lors du processus.  

Les océans absorbent 93% des excès de chaleur présents dans l’atmosphère. Perturber cet écosystème c’est donc perturber la régulation de température de la planète.

exploitation minière eau profonde

Une législation qui peine à se mettre en place

Il existe une Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM) sous l’égide de l’ONU. Jusqu’à très récemment, cet organisme était animé essentiellement par des acteurs favorables aux opérations minières sous-marines et largement influencé par les leaders des entreprises minières.  L’AIFM a d’ailleurs été plusieurs fois épinglée pour collusions et conflits d’intérêt par des enquêtes journalistiques. On assistait alors à une sorte d’autorégulation où l’industrie proposait elle-même les règles et se mêlait de vérifier si elle les respectait. L’AIFM a par exemple accordé tous les permis d’exploration qui lui ont été demandés. 

Cependant l’action des ONG, des scientifiques, l’intérêt du grand public et les problématiques géopolitique des ZEE ont rendu les questions d’exploitation minière de plus en plus politiques. Des acteurs défavorables à l’exploitation des grands fonds marins ont récemment commencé à se positionner au sein de l’AIFM. Depuis 12 ans, cette instance cherche à établir un code minier pour encadrer les pratiques et délivrer ensuite plus massivement des licences d’exploitation. Cependant en 2021 sous l’impulsion de The Metal Compagnie, principale industrie du secteur, l’État de Nauru a réclamé l’activation de la règle des 2 ans. Puis The Metal Compagnie a usé de son influence auprès de l’AIFM pour que la demande soit acceptée. Cette règle prévoit que l’AIFM doit, 2 ans après la demande, commencer à traiter toutes les demandes d’exploitation qu’elle a reçues, qu’elle ait réussi à mettre en place un code minier ou non. 

Les 2 ans sont arrivés à échéance en Juillet 2023. Cela a été l’occasion d’un débat « de la dernière chance”. Un nombre croissant de pays s’étaient positionnés dans les mois précédents en faveur d’une pause, d’un moratoire ou, comme la France, d’une interdiction pure du minage sous-marin. La Chine à cependant bloqué les débats en faveur de la protection des fonds marins.

Les pays pour ou contre l'exploitation minière en eau profonde

Il n’y a donc actuellement pas de code de régulation minière, ni d’accord pour interdire cette pratique. Ainsi, avec la faille juridique de la règle des 2 ans, l’AIFM doit traiter les demandes de licences qui lui sont soumises. 

Le cas particulier de la Norvège 

C’est dans ce cadre que le Parlement Norvégien a débattu, début janvier 2024, autour d’une demande de licence et d’un projet d’exploitation des gisements sous-marins. 

L’ambition est d’exploiter une zone au fond de l’Arctique grande comme le Royaume-Uni.

Minage en eau profonde en Norvège

La communauté scientifique a démontré les dangers de ce programme à travers la parole de 814 chercheurs et spécialistes des océans.

Les ONG se sont employées à relayer leurs paroles ainsi que celles des 119 députés européens qui ont écrit au parlement Norvégien. 

Cette forte mobilisation a permis de faire reculer le projet initial. Finalement, seule l’exploration a été votée par le parlement Norvégien. Si la volonté d’exploitation perdure, il faudra repasser par un vote au parlement.

Un discours du secteur minier à contre-courant

La question de la pertinence de l’exploitation se pose en effet. 

D’une part, car des institutions financières indépendantes estiment que les investissements en infrastructures, nécessaires pour ce type de projet, sont extrêmement difficiles à amortir. Cela s’illustre parfaitement avec le seul projet d’exploitation lancé à ce jour : Solwara 1. L’entreprise chargée de l’exploitation a fait faillite avant d’avoir remonté le premier gramme de métal à la surface. Pour l’anecdote, le PDG de cette société, à la suite de cette faillite, a fondé The Metal Compagnie, dont nous avons parlé plus haut. 

D’autre part, au-delà du capital à investir, pour pouvoir faire fonctionner ces mines des océans, il faut parvenir à vendre le minerais extrait. Or 43 des entreprises les plus consommatrices de métaux rares, tels que les géants de l’automobile (Volvo, BMW, Volkswagen et Renault…) et de l’électronique (Google, Philips, Samsung) se sont engagés à ne pas utiliser de métaux issus du minage des fonds marins. 

De plus, les technologies autour des batteries et des systèmes électroniques sont en révolution, les métaux les plus demandés actuellement sont susceptibles de décoter rapidement. Actuellement, les batteries de véhicule contiennent 50kg de Nickel  ce qui fait de ce métal, présent dans les fonds marins, une ressource convoitée. Cependant, certains constructeurs comme Tesla, commercialisent maintenant des véhicules électriques sans Nickel ni Cobalt (lui aussi présent dans les fonds marins). 

L’électrification des véhicules et la transition énergétique sont les principaux arguments des pro-minages en fond marins. Ils estiment que la destruction des écosystèmes océaniques est un mal pour un bien si l’on souhaite limiter les émissions de gaz à effet de serre liées aux énergies fossiles. On peut aussi reformuler la chose ainsi “on a bien bousillé la planète avec le pétrole, maintenant qu’il n’y en a presque plus de rentable à exploiter on va bousiller les fonds marins”. Ils utilisent la transition énergétique comme un épouvantail, sans remettre en cause le modèle de consommation. En effet, s’il est bien nécessaire de passer à l’énergie électrique, la transition vers un modèle durable doit être globale.

Sur le long terme, les progrès technologiques en termes de recyclage et la mise en place systématique de suivi de cycle de vie peuvent permettre de stabiliser voire de faire décroître la demande en minerais. 

La meilleure solution reste de mettre en place une politique de sobriété efficace, que ce soit en termes de consommation de biens marchands ou d’électricité, et ainsi faire diminuer la demande de métaux rares. 

Aussi étrange que cela puisse paraître, isoler sa maison pour économiser du chauffage, faire réparer son téléphone plutôt que s’en procurer un nouveau, choisir de louer une scie sauteuse plutôt que de l’acheter, utiliser un véhicule électrique léger plutôt qu’un SUV dont les batteries peuvent faire plus de 600kg,  contribue par effet de cascade à épargner les poissons encore inconnus qui vivent dans les tréfonds de l’arctique. 

Contrairement à d’autres combats déjà perdu, pour les fonds des océans il est encore temps, aucune machine d’exploitation n’est encore en fonctionnement. Il est encore temps de changer ses modes de consommation, encore temps de faire savoir à ses élus que l’on est contre, encore temps de s’engager auprès des ONG pour les soutenir.

Les fonds marins en danger face à l'exploitation minière en eau profonde
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