Les chantiers de l’Atlantique viennent d’annoncer une bonne nouvelle : le croisiériste MSC a commandé deux nouveaux paquebots de la classe Europa au chantier français. Cela représente un an de travail et plus d’un milliard d’euros par bateau. A l’heure de l’incroyable développement des croisières, petit retour sur le vrai coût de ces vacances annoncées comme « de rêve »…
Un milliard d’euros, c’est donc le montant estimé pour la construction d’un bateau de la classe Europa. Le tout pour emmener en vacances 6762 passagers (dans 2626 cabines), chouchoutés par un équipage pléthorique de 2138 personnes.
Les prix pour une croisière en Méditerranée et en plein hiver commencent à 499 euros par personne (sur la base d’une cabine double) pour une semaine. Le chiffre d’affaires minimum par rotation est donc de 2,6 millions d’euros soit 136 millions d’euros par an. Il va donc falloir que le bateau tourne très longtemps pour rentabiliser l’investissement. Mais ceci est le problème de l’armateur, pas celui du constructeur (voir notre article sur ces paquebots de la démesure).
Armateurs et constructeurs ont en revanche un vrai souci à résoudre : l’acceptation par leur clientèle de partir en vacances sur un engin qualifié d’extrêmement polluant par les « spécialistes ».
La question qui taraude donc tout le monde, qu’il s’agisse de ceux que l’on qualifie “d’ayatollah de l’écologie” ou au contraire “d’affreux capitalistes assoiffés d’argent” qui construisent ces monstres d’aciers, reste donc : qu’en est-il réellement de la pollution engendrée par les paquebots de croisière et le coût réel en équivalent CO2 d’une croisière par passager ?
Un paquebot, c’est un gros moteur pour près de 7000 passagers
Nous avons eu beau chercher, ni le chantier ni l’armateur ne communiquent actuellement sur la puissance moteur des paquebots de la classe Europa. Il a fallu retrouver des communiqués de presse de 2020 pour avoir le chiffre de 80 NW. En revanche, on sait que la vitesse de croisière du paquebot est annoncée pour 22 nœuds.
Alors quel est l’impact carbone d’un croisiériste ?
Plutôt que de se perdre dans des calculs sans fin, nous avons résolu de nous baser sur le résultat obtenu par Jean-Marc Jancovici dans un de ses posts LinkedIn. L’ingénieur, spécialiste de l’énergie (et du changement climatique) fait donc le calcul suivant :
Un paquebot de la classe Europa parcourt 40 km (22 nœuds) en utilisant 80 NWh d’énergie mécanique. Les gros moteurs diesel utilisés sur les paquebots auraient, toujours d’après l’ingénieur spécialisé, un rendement bien supérieur à ceux de nos voitures, qu’il estime ici à 50%. Ce sont donc 16.000 litres de fioul qui auront été nécessaires pour déplacer les 6700 passagers pendant une heure pour faire 40 km. Soit 6 litres aux 100km par personne.
La conclusion est sans appel : une croisière consomme autant que si vous vous déplaciez seul avec votre voiture familiale. Cela paraît donc – presque – raisonnable.
Si l’on en croit le site de l’armateur MSC, une croisière type partant de Marseille et revenant à son point de départ vous fera découvrir Gênes, Naples, Messine, La Valette, et Barcelone. Soit une distance parcourue d’environ 1700 km et donc 100 litres de fioul par passager. Résultat, toujours selon les calculs de Jean-Marc Jancovici (mais qui sont facilement vérifiables), une croisière d’une semaine en Méditerranée vous fera émettre environ 300kg de CO2.
A ce stade, et sachant qu’il ne faudrait pas dépasser 2 tonnes par personne et par an pour rester dans les limites de l’accord de Paris, cela semble “presque” raisonnable. Et ce chiffre devient presque anecdotique si l’on considère qu’un français émet aujourd’hui près de 10 tonnes de CO2 en moyenne par an…Seulement voilà : une croisière d’une semaine ne se limite pas à la consommation d’énergie du bateau divisé par le nombre de passagers. Il y a la nourriture, la clim ou le chauffage, l’énergie nécessaire aux attractions à bord, la construction du bateau…
Mais il y a aussi le coût écologique du voyage pour aller jusqu’au bateau : la quasi totalité des passagers qui embarquent à Marseille, ne viennent pas des Bouches-du-Rhône, loin s’en faut. Si le voyageur vient de Paris en avion, il faudra rajouter à son “impact CO2” pour cette croisière 95 kg équivalent CO2 par passager et par voyage.
Un parisien descendant à Marseille en avion pour faire une croisière type aura donc un impact équivalent CO2 de 490 kg.
S’il vient de Londres, il faudra rajouter aux 300 kg de la croisière, 103 kg par voyage et par passager, soit un équivalent CO2 de 506 kg.
Et si un français décide d’aller faire une croisière en partant de Miami, le coût équivalent CO2 bondit à 300 kg pour la croisière et 1290 kg pour le voyage aller retour soit 1,6 tonnes. Oups, les deux tonnes sont déjà pratiquement atteintes pour notre vacancier en seulement une semaine…
Et avec le GNL ?
Ce calcul montre qu’une croisière est bien un modèle difficilement tenable si l’on veut rester dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat de la COP 21. Mais la réalité est tout autre si on en croit les armateurs et constructeurs de ces magnifiques paquebots :
« Nos nouveaux navires sont propulsés au Gaz Naturel Liquéfié (GNL), le plus propre des carburants marins disponibles à grande échelle à date. Il réduit les émissions de CO² jusqu’à 20 % et élimine pratiquement les oxydes de soufre et les particules fines, tout en réduisant les oxydes d’azote jusqu’à 85 % »…
20% de mieux en émission de CO2, c’est toujours bon à prendre, non ?Sauf que, toujours d’après notre ingénieur préféré (Jean-Marc Jancovici), le recours au GNL « ne baisse que marginalement ces émissions : le gaz est moins émissif par kWh thermique, mais le moteur à gaz est moins efficace que le moteur diesel pour la conversion du thermique au mécanique ».
Alors, on arrête les croisières ?
Le monde dans lequel nous vivons se nourrit de croissance, de bénéfices et de balance commerciale excédentaire. Le chiffre d’affaires du secteur de la croisière dans le monde est passé de 23,3 milliards de dollars en 2007 à une estimation de 57 milliards de dollars pour 2027. Une manne qu’il va être difficile de juguler sous prétexte de sauver notre petite planète bleue des affres du dérèglement climatique.
La solution pourra, dans un premier temps, peut-être passer par des bateaux baissant de manière drastique leurs consommations, comme certains cargos actuellement construits et naviguant… en partie à la voile et que l’on rejoindrait sans prendre l’avion !