Le 22 novembre 2023, Elodie-Jane Mettraux a annoncé qu’elle renonçait à participer à la Womens America’s cup 2024 pour laquelle elle a été qualifiée. Elle indique que ce choix lui permet de respecter ses convictions concernant l’égalité salariale.
A ce jour, on ne dispose pas de sources chiffrées sur la supposée différence de salaire, ni sur la manière dont l’équipe Suisse gère ses ressources humaines. Cette annonce est cependant l’occasion de se pencher sur cette épreuve inédite.
Jusqu’à présent la coupe de l’América était plutôt une histoire d’homme, si on en croit wikipédia, qui dans son article sur cette course, ne cite que deux femmes, “la reine Victoria” et “l’épouse du président Kennedy” (qui visiblement n’a pas de nom…).
Pour sa 37ème édition, la Coupe a décidé de se moderniser et d’organiser une épreuve féminine. Cette dernière ne sera pas du tout un équivalent féminin à la plus célèbre compétition de voile, mais un événement d’une dizaine de jours sur les mêmes modalités que la Youth America’s cup (le programme de détection des moins de 25 ans qui existe déjà depuis 2013).
Dans ces conditions, on comprend que si les participant.es à la Youth and Women America’s cup sont tous payés de la même façon il y ait des grincements de dents. Il paraît en effet assez injustifiable de payer des jeunes qui débutent dans la voile internationale et pour qui cette expérience sera un tremplin dans leurs carrière de la même manière que des femmes expérimentées et présentant des CV de navigatrices déjà très étoffés.
C’est d’ailleurs là, tout le paradoxe de cette organisation. Certaines femmes sélectionnées sont de multiples fois championnes du monde de leurs discipline ou médaillées olympique. Elles sont pourtant reléguées dans une sous-compétition. Transposé à d’autres événements, cela paraît complètement incongru. Imaginez-vous, qu’en 2024 les femmes qualifiées aux JO ne participent pas au jeux de Paris mais à des épreuves en Corée en même temps que les Jeux Olympiques de la jeunesse ?
Cela paraît d’autant plus incongru que l’Olympisme a très fortement œuvré pour la mixité dans la voile ces dernières années, ce qui a permis de créer un vivier de navigatrices de très haut niveau.
Les Sails GP (circuits de régate se courant sur les anciens bateaux de la coupe) ont d’ailleurs puisé dans ce vivier. Il doit sembler d’autant plus étrange pour ces femmes qui ont couru en mixte sur tout le circuit de retourner faire une “course de bac à sable”.
Toutefois l’argument des compétences spécifiques que requiert cette course est entendable. Il est évident qu’un navigateur dont c’est la 3ème campagne de coupe et qui en a fait sa spécialité sera plus performant qu’une triple championne olympique de 470.
Cette édition ne permettra pas de réduire cet écart d’expérience, puisque les temps de la Women and Youth America’s cup représentent 10 jours de compétition, tandis que sa grande soeur représente 10 jours de régates préliminaires, puis un mois de régates pour déterminer le challenger et enfin une semaine de finale entre challenger et defender.
Dimitri Despiere, l’un des cadres d’American Magic, l’équipe américaine pour la coupe avait d’ailleurs indiqué en 2021 à Tip and Shaft, qu’il estimait que les organisateurs auraient pu aller plus loin : « C’est une très bonne idée, mais on aurait très bien pu imposer un quota de femmes à bord des AC75. [ndlr les bateaux de la “vraie” Coupe] »
D’autant qu’en observant les CV des navigatrices sélectionnées on remarque qu’elles ont souvent jonglé entre des régates côtières et des projets de course au large, comme Elodie-Jane Mettraux qui a couru The Ocean race deux fois avec une victoire à la clé. Cela, parfois par la force des choses car, comme on propose moins d’embarquements aux femmes, elles doivent donc savoir se diversifier. Elles ont donc acquis des capacités d’adaptations et d’apprentissages bien plus rapides.
Enfin, les problèmes de puissance physique sont souvent évoqués dans les questions de genre. Sur les bateaux de la Coupe la problématique est traité de manière assez particulière puisque les équipages se scindent généralement entre des navigants, purement régatiers et des navigants dit “power sailor”. Ces derniers sont chargés de fournir l’énergie pour faire fonctionner tous les systèmes du bord (réglages des voiles et des appendices).
Ils sont recrutés sur des critères spécifiques (force brute, cardio etc.) et viennent souvent d’autres sports comme l’Aviron ou le Crossfit.
Soit dit en passant, en Crossfit, les compétitions font courir hommes et femmes sur des épreuves équivalentes, assurant aux professionnel.les la même rémunération et la même notoriété.
La coupe de l’America ferait bien de s’en inspirer.
On félicite donc Elodie-Jane Mettraux pour son geste courageux qui on l’espère fera bouger les lignes. Les mots les plus appropriés sont peut être ceux de Samantha Davies, navigatrice française autour du globe : “Merci Elodie-Jane de défendre les droits des futurs générations de navigatrices”.