Cela fait quelques années que la réduction de vitesse des navires est au cœur des réflexions pour réduire l’impact environnemental du transport maritime. Plusieurs rapports pointent du doigt les diverses formes de pollution inhérentes à cette activité et proposent la solution de la réduction de vitesse comme étant l’une des plus faciles à mettre en œuvre. Mais quels sont les enjeux et les avancées sur ce dossier ? Sommes-nous vraiment à deux nœuds près ?
Impact environnemental
Certes, le fret maritime n’est pas le premier pollueur. Selon l’Organisation Maritime Internationale (OMI), ce secteur ne représente que 3% des émissions de CO2 alors qu’il assure 90% des échanges commerciaux internationaux. A titre de comparaison, les transports routiers produisent 4 milliards de tonnes de CO2 par an contre 1 milliard pour le fret maritime. Cependant, l’impact environnemental sur les mers et les océans ne se limite pas à la pollution de l’air. Les déversements de polluants dans l’eau et la pollution sonore sont aussi à prendre en considération.
De plus, le transport maritime est en train de progresser. Selon les chiffres du Forum International du Transport de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), la part du fret maritime devrait pratiquement tripler d’ici 2050, augmentant ainsi les émissions de gaz à effet de serre. Le blocage du canal de Suez à la mi-mars dernier a permis de prendre conscience de toute l’importance du trafic maritime international.
Les solutions
Selon un rapport d’étude publié en novembre 2019 par les associations Seas at risk et Transport & Environnement, la réduction de vitesse des navires permettrait non seulement de limiter la production des gaz à effet de serre et la consommation en carburant des navires, mais elle permettrait aussi de réduire la pollution sonore sous-marine émise par les navires et les collisions avec les mammifères marins, sans compter une navigation plus sûre. Ces effets positifs sont observables même pour une limitation minime de 10% à 20% de la vitesse.
Le ministère de la Transition écologique estimait pour sa part qu’un pétrolier qui réduirait sa vitesse de 12 à 10 nœuds réaliserait en même temps une économie de carburant de 30%. Jean-Marc Roué, Président d’Armateurs de France, précise dans un entretien à Usine Nouvelle que “la consommation d’un navire est au cube de sa vitesse. Autrement dit plus le bateau va vite, plus les derniers km/h qu’il va fabriquer par son moteur de propulsion vont être consommateurs par rapport aux premiers”.
Il a également déclaré que “la réduction de la vitesse est une solution efficace pour relever le défi environnemental auquel le shipping est confronté”. Il s’agit en effet d’une solution qui ne demande aucun investissement matériel et qui a un impact positif sur de nombreux facteurs environnementaux. Dans une interview donnée au Parisien en décembre 2019, Philippe Louis Dreyfus, président du conseil de surveillance du groupe Louis Dreyfus Armateurs, estime que cette solution doit être appliquée à l’échelle internationale : “Ce serait stupide d’opter pour des règles régionales. Le transport maritime est une des activités les plus globalisées (…). On parle de l’avenir de la Planète”, rappelle-t-il.
D’autres solutions sont également avancées par les professionnels du fret maritime, comme le développement du branchement électrique des navires à quai, l’utilisation croissante de carburants alternatifs comme le gaz naturel liquéfié (GNL) ou encore l’usage du vent. S’ajoutent à cela les avancées technologiques en matière de production d’énergie renouvelable embarquée comme l’utilisation de l’éolien ou du solaire.
Les avancées décisionnelles
En avril 2019, le ministère français de la Transition écologique avait déjà déposé auprès de l’Organisation maritime internationale (OMI) un projet faisant la promotion de cette solution. En juillet 2019, Armateurs de France a également publié un communiqué de presse réaffirmant l’engagement de l’industrie du shipping pour la protection de la planète et de ses habitants. L’association a élaboré la charte SAILS (pour Sustainable Actions for Innovative and Low-impact Shipping), signée par 9 armateurs, dont le géant CMA-CGM. Le Président Emmanuel Macron a soutenu cette initiative à l’occasion du G7 qui s’est tenu à Biarritz le 24 août 2019.
Les enjeux économiques
Selon le rapport du Forum international du Transport, le pari de la décarbonisation du transport maritime à horizon 2035 est techniquement possible. Mais cela ne peut se faire qu’à plusieurs conditions. Il faut en effet que le marché suive et que l’enjeu de la réduction des coûts liés aux carburants soit une motivation suffisante pour que des efforts soient consentis par les compagnies de transport maritime. De plus, l’implantation de nouvelles technologies écologiques sur les navires de fret doit également représenter des opportunités commerciales intéressantes, y compris pour les financeurs qu’il faut convaincre. Enfin, le rapport pointe également les intérêts d’une communication verte qui améliorerait l’image des différentes compagnies.
Quelques limites structurelles sont également mentionnées. La plupart des navires qui circulent actuellement ont une durée de vie moyenne de 25 ans et beaucoup d’entre eux seront toujours en circulation en 2035. Les remplacer alors qu’ils sont encore en bon état représentera un coût d’investissement que beaucoup de compagnies ne seront peut-être pas prêtes à assumer, d’autant que les coûts de démantèlement des navires restent très élevés. Un autre problème subsiste, c’est l’absence de taxe carbone sur le fuel utilisé par les navires. Une telle taxe pourrait constituer une motivation supplémentaire pour passer à des énergies plus vertes. En somme, des leviers financiers doivent impérativement être mobilisés pour motiver les compagnies à emprunter le chemin de la décarbonisation.
Enfin, il reste la question des délais et de la concurrence. En réduisant la vitesse de deux nœuds un navire qui effectuerait le trajet de Shanghai à Amsterdam perdrait une dizaine de jours passant d’une navigation de 41 jours à 12 nœuds à 50 jours à 10 nœuds. Mais l’impact sur l’environnement d’une réduction de la vitesse des navires, même faible, reste une solution tellement bénéfique qu’elle doit être mise en place de toute urgence ! Sommes nous vraiment à 10 jours près sur les livraisons ?
Crédits images : Le Parisien / Infographie – Seas at Risk / Infographie