Stan Thuret avait annoncé en Février 2023 qu’il arrêtait la course au large pour raison écologique, cela avait provoqué bien des remous dans le petit monde de la voile. Un an et demi après, en Juin 2024, il a publié Réduire la Voilure, aux éditions Lafont.
Un joli récit de marin
Tout commence exactement comme ce que l’on attend d’un livre de marin. Un bateau qui glisse dans un univers velouté et scintillant, où mer et planctons fluorescents se confondent avec ciel et étoiles. Un récit de nuits de veille, de manœuvres sous les tropiques, entremêlé des souvenirs d’enfance pour décrire l’appel du large, expliquer comment le rêve a pris racine.
Au premier abord, un classique récit de navigateur. Si ce n’est que l’on décèle dans ce skipper un talent tout particulier de conteur d’histoires. Les scènes de navigation semblent se dérouler sous nos yeux comme si nous étions au cinéma. Et pour cause, Stan Thuret est réalisateur de formation et a longtemps travaillé pour des projets sur le grand écran.
Les souvenirs défilent alors, mêlant ses deux métiers : les anecdotes des premières navigations, les premiers tournages, les premières courses, les premières rencontres avec des légendes du milieu, d’Hollywood à Port-La-Forêt. (C’est sûrement le seul livre qui évoque à quelques pages d’intervalle Charlize Theron et Roland Jourdain).
Sa connaissance des deux mondes lui a été nécessaire lorsqu’il a été embauché en tant que “média-man”. Cette profession encore quasi inexistante il y a une vingtaine d’années est maintenant très recherchée sur les pontons. Les organisateurs de courses requièrent souvent que les bateaux embarquent un.e équipier.e qui s’occupe exclusivement de produire du contenu médiatique, vidéos et photos. L’éclairage du cinéaste – navigateur, tel qu’il se décrit lui-même, sur cette nouvelle facette de la course au large, devenue sport ultra connecté, est inédit et captivant.
Le point de vue de Stan Thuret est d’autant plus intéressant, qu’il fait partie de cette génération de marins qui ont vu les réseaux sociaux devenir une part incontournable des stratégies commerciales jusque dans le monde de la voile. Lui, tout comme Clarisse Cremer, ont été parmi les premiers à se construire une notoriété en documentant leurs exploits course après course via les réseaux sociaux pour ensuite vendre à d’éventuels sponsors une visibilité déjà existante.
Cette petite révolution fait aujourd’hui du sponsoring de la course au large une activité plus lucrative que jamais, mais surtout elle a contribué à augmenter drastiquement la popularité de ce sport en lui conférant une image plus accessible.
Un questionnement autour de la place du sport et de ses impacts environnemental
Tel Icare volant trop près du soleil, le récit de Stan Thuret prend peu à peu la forme d’une prise de conscience et d’un désenchantement sur ce que deviennent les courses en voilier face à la surenchère de communication, la débauche de moyens, la frénésie de constructions de bateaux plus rapides rassemblés dans des évènements toujours plus spectaculaires.
Cette seconde partie du livre pourrait n’être qu’une introspection personnelle, mais l’auteur parvient à en faire une réflexion globale sur le rapport de notre société avec la performance. Cela ouvre alors des portes sur de très nombreuses problématiques de développement durable propres au monde maritime. Que ce soit l’impact environnemental de la construction de bateaux de course neufs, le bilan carbone des événements sportifs tels que les départs ou arrivées de courses mais aussi les problématiques de dérèglement de l’écosystème, son réchauffement, les algues endémiques qui s’y développent, la sur-pêche, les collisions avec des cétacés…
Le récit effectue un tour d’horizon très complet, beaucoup de sujets sont balayés toujours de manière très didactique. Les chiffres qui parsèment le récit sont parlants. On apprend par exemple, que selon le cabinet Earth Action, la course au large est plus polluante que le tour de France cycliste (50kg équivalent par visiteur contre 20 kg pour le cyclisme) . On découvre aussi que les foils, ces dérives courbes installées sur les bateaux de courses, polluent plus à la fabrication (qui requiert l’équivalent de 700 000 kilowattheures) qu’une transatlantique aller-retour au moteur sur ces mêmes bateaux (qui requiererait 88 000 kilowattheures).
Des bateaux à voile volant mais avec des bilans carbone plus catastrophiques que si, on les utilisait en mode flottant et au moteur, on semble marcher sur la tête.
Imaginer un avenir pour la course au large
L’auteur, déterminé à retomber sur ses pieds, ne se contente pas de dépeindre et analyser la situation, il propose aussi des solutions. Celles-ci visent à faire exister ce sport en dehors des logiques capitalistes imposées par les sponsors, les organisateurs de courses, les équipementiers et les chantiers navals. Certaines propositions semblent relever de la politique du petit pas et sont vite dépassées par la hauteur des enjeux. Les propositions de courses radicalement différentes, quant à elles, sont enthousiasmantes et ouvrent de vraies discussions pour sortir de la boîte et changer de paradigme, remettre l’humain, ses compétences et ses valeurs au centre de l’échiquier. Stan Thuret évoque des formats de courses ou les chronos, et les classements ne sont plus les juges de la réussite. Il propose d’apprécier skipper et skippeuse en fonction de leur résilience ou leur capacité à tirer parti des conditions météorologiques. Son utopie fait aussi la part belle aux courses aventurières inclusives qui promeuvent le partage et l’entraide.
En un mot, la rédaction vous recommande la lecture de ce récit poétique, singulier, instructif et qui peut-être, vous aidera à vous forger de nouveaux rêves marins, plus respectueux de la mer et de ses habitants.