Sur les traces de Darwin

Victor Rault a 30 ans, et après 4 ans d’expéditions avec Under The Pole, il a décidé de monter son propre projet : Captain Darwin. L’objectif est de naviguer sur les traces de Darwin afin d’observer l’évolution de la biodiversité depuis le début du XIXème siècle. Concrètement, le but est de répondre à la question suivante : La Nature et l’Homme pourront-ils s’adapter à temps pour faire face aux bouleversements climatiques de notre époque ? Rencontre avec Victor Rault qui nous explique la genèse de son projet et son avancement.

Victor Rault sur Mukti (© Maxime Horlaville) Mission Capitain Darwin
Victor Rault sur Mukti (© Maxime Horlaville)

Qu’est ce qui t’a décidé à lancer l’aventure Captain Darwin ?

Et bien, pour ma part, je suis réalisateur vidéo depuis 8 ans. J’ai travaillé précédemment pour Under The Pole, en premier lieu en tant que bénévole pendant 8 mois en 2014-2015, puis en CDI à Concarneau pour préparer l’expédition III. Tout au long de mes travaux, je me suis spécialisé sur des sujets environnementaux et sur la biodiversité. Or, à cette période, je rejoignais les projets pour lesquels je travaillais en avion. Et il y avait comme un hic entre ce que je dénonçais et mon mode de transport. D’où l’idée d’aller réaliser des films à la voile. C’est d’ailleurs une idée qui m’a toujours plu !

Après, pour l’idée de naviguer dans les traces de Darwin, l’anecdote est assez originale ! Pendant le projet capsule, il y avait le livre de Darwin  sur le “Why” [ndlr. Bateau des expéditions Under The Pole]. Je l’ai lu durant la mission et j’ai adoré, c’était passionnant. J’ai vraiment apprécié sa façon d’entrecroiser les sciences avec son ressenti personnel.

Au cours de son périple, il est passé dans le Pacifique et dans son récit, il décrit notamment une île sur laquelle il se trouvait. Au fur et à mesure de cette description, je me suis aperçu que cette île était celle sur laquelle je me trouvais, Moorea. J’avais donc, à la fois la description de Darwin et mes yeux pour voir ce que l’île était devenue. En plus du visuel, j’avais également accès au constat des scientifiques sur l’évolution de la biodiversité de l’île. Faire ce pont temporel entre la vision de Darwin des années 1800 et l’état actuel des choses m’a semblé être une façon très évocatrice de raconter l’impact humain sur les écosystèmes. Puis toutes ces idées se sont mises en place pour faire un projet cohérent : Captain Darwin était né.

Comment organises-tu alors l’aventure ?

Et bien, ensuite, j’ai passé 8 mois à structurer le projet derrière mon ordinateur, entre l’histoire, le budget, etc… Puis au terme de cette phase, j’ai acheté le bateau, je l’ai ramené en Bretagne et une autre phase a pu commencer. Une phase qui s’est composée de deux volets : une de préparation logistique et une autre, d’apprentissage de la voile. En effet, avant cela, j’avais un niveau de voile quasi inexistant. J’ai passé mon permis côtier puis hauturier. J’ai appris et j’ai adoré ! J’adore encore apprendre d’ailleurs ! La posture d’apprenant est génératrice d’énergie pour moi. Et cette phase a porté ses fruits quand je vois mes capacités en plomberie, en électricité, en navigation aujourd’hui.

Et à côté de tout ceci, il faut mener tous les autres aspects du projet. Le rythme est très soutenu ! C’est un peu comme monter une start-up. Tu dois gérer l’équipe, le planning, la communication, toute la logistique des travaux. C’est un paquet de compétences qui ne sont pas au cœur du projet au premier abord, mais dont tu as besoin. A l’origine, tu veux juste faire des vidéos sans utiliser l’avion. Mais pour bouger, t’as besoin du bateau et pour utiliser un bateau, tu dois savoir naviguer, etc. Tu es en apprentissage continu sur plein de sujets.

Mukti, le bateau de Captain Darwin (© Maxime Horlaville/Captain Darwin)
Mission Capitain Darwin
Mukti, le bateau de Captain Darwin (© Maxime Horlaville/Captain Darwin)

Mukti, c’est qui ?

C’est ma maison et mon transport pour les 4 prochaines années. Mukti, ça veut dire liberté en sanskrit. En gros, il fait 13 mètres pour 13 tonnes. C’est une construction amateur d’un chaudronnier spécialisé en Inox. D’ailleurs, je préfère le terme anglais « Custom made » car le bateau est vraiment bien dimensionné, bien agencé. Il l’a construit entre 2000 et 2010 avec le projet de faire un tour du monde. Mais ses plans ont évolué et j’ai pu acheter le bateau en 2020.

En termes d’aménagement, il est composé de deux demi-étages : le premier avec le coque rond [ndlr : soute de rangement arrière tribord, plutôt gigantesque] et cette timonerie qui fait l’originalité du bateau ; et le deuxième avec l’étage de vie avec 5 couchages. Pour les équipements particuliers liés à l’expédition, les deux sujets qui ont dû être abordés ont été la plongée et l’alimentation électrique.

Pour la plongée, on embarque un compresseur et tout ce qui va avec. C’est une installation relativement imposante qu’il faut caser au bon endroit pour pouvoir s’en servir sans problème. Et côté électricité, l’idée du voyage est tout de même d’avoir un petit studio de montage vidéo sur l’eau. Et qui dit studio de montage vidéo, dit caméra, drone, ordinateur à charger, sans parler des lampes de plongée et autres accessoires indispensables pour de bonnes prises de vues. J’ai pris contact avec plusieurs experts du domaine pour réfléchir avec eux sur l’installation à prévoir. En additionnant les différents postes, le résultat fut le suivant : Mukti avait besoin de disposer de 270 W en instantanée. Et il se trouve que cela n’est absolument pas inquiétant !

En effet, ces entreprises sont confrontées à des problèmes de puissance nécessaires bien plus importants ! (Voir notre article Naviguer sur un voilier écolo : fantasme ou réalité ?). Concrètement, nous avons donc choisit d’équiper Mukti avec 2 panneaux de 115W plus 2 panneaux amovibles repliables de 130W + 70W. Et une éolienne de 130W vient compléter l’ensemble. Cet ensemble est lié à un parc de 6 batteries au plomb avec entretien ouvrable. Et cette installation convient parfaitement au voyage prévu.

Dans ce voyage, quelle est la chose dont tu as le plus hâte ?

J’ai vraiment hâte de faire des images d’animaux, de plantes. J’ai hâte de ressentir ce gros coup d’adrénaline, quand tu fais un shoot incroyable, après avoir attendu des heures. La première fois, je me souviens, c’était au Groenland. J’étais sur le “Why”. Le soleil se couchait, il y avait des icebergs partout autour, et des baleines jouaient avec frénésie près du bateau. J’avais sorti mes caméras, fait quelques plans ; j’utilisais le téléobjectif. Et à un moment la baleine est sortie à 4m du canot et j’ai fait un plan magnifique de la queue de cette baleine boréale. Ce genre d’instant, c’est vraiment une sensation de jouissance ! Et L’objet du voyage c’est simplement cela. 

Baleine Boréale (© Kate Stafford)
Baleine Boréale (© Kate Stafford)

Filmer des animaux, ça peut impliquer pas mal de choses : plonger 10 fois, parfois, pour capturer le bon plan. C’est des sensations uniques et intenses, parce que la mise en relation avec la vie sauvage est très spéciale. Tu es totalement démuni, loin de tes repères habituels. Tu es simplement face à un autre représentant du monde du vivant. Et ce genre d’instant me donne du peps !

Dans le fond, il y a énormément de projets similaires, des gens qui ont envie de bien faire. Pour moi, ce projet, c’est un projet pro, avec un objectif très élevé de qualité. Mais c’est aussi un projet qui me fait kiffer. Et j’assume ! On peut concilier le plaisir et le sens de ce que l’on veut. Je ne me vois pas faire peser sur moi la 6ème extinction que la terre connaît en ce moment comme un chemin de croix. J’ai besoin d’énergie, de collectif et c’est cela qui aide à faire des films qui touchent !

Est ce qu’un aspect te fait peur dans l’expédition ?

Ce qui me ferait flipper, c’est potentiellement que cela se passe mal avec un équipier. Autant je n’ai pas d’expérience de marin, autant j’ai fait des missions avec des gros équipages. Et cela s’est bien passé pour l’essentiel. Au total, j’ai dû naviguer avec une centaine de personnes. Mais je sais aussi que cela peut mal tourner, surtout sur des unités de cette taille-là. Si cela ne va pas entre l’équipage, peu importe la préparation, cela engendre des bêtises, de  l’anxiété, du stress.

Et c’est pour cela que pour la première tranche, il s’agit essentiellement de gens avec qui j’ai déjà navigué. Globalement, nous serons 4 sur le bateau et l’équipage va tourner en fonction des trajets et des besoins. Mais le but est tout de même de recruter des équipiers sur place, via des rencontres ou des bourses aux équipiers. Car si je ne prends pas l’avion, ce n’est pas pour que d’autres le fassent afin de rejoindre le bateau. Il faudra donc avoir un bon feeling au moment des « recrutements » pour que tout roule ensuite.

As-tu prévu de faire un film, un livre à l’issue du voyage ?

Le livrable consistera plutôt en un ensemble de vidéos Youtube, qui seront disponibles sur la chaîne de l’expédition. D’ailleurs il y en a déjà quelques-unes. Je préfère ce format, car, avec internet, il y a cette idée de diffuser librement, au plus grand nombre, gratuitement. Mon idée est de publier en Creative Commons, c’est-à-dire de laisser libre court à l’utilisation ou la modification pour d’autres projets. Je pense également que le format court conviendra parfaitement à raconter l’aventure au fur et à mesure !

A la fin du projet, j’aimerai également réaliser un film, Planète 2222. Ce film sera composé de plusieurs interviews des scientifiques et autres personnes rencontrées au long du voyage. L’idée sera de leur demander comment ils imaginent notre planète dans 200 ans. Ce serait top d’avoir un scénario positif, qui intègre la sobriété énergétique et l’écologie ! Le projet va être un peu « dark », il ne faut pas être naïf sur le constat. Mais j’espère pouvoir faire ressortir des poches d’espoirs des différents discours.

A mon avis, si j’aborde un côté collapsologie, cela va créer du désespoir et du laisser-aller, et ce n’est pas le but ! C’est d’ailleurs la question  centrale de ce genre de projet : quel est l’impact relatif d’un film ? Pousse-t-il la population à agir ? J’ai la sensation que oui, c’est mon ressenti ! C’est mon petit colibri à moi, pour éteindre le feu qui ravage cette planète.

Comment va s’organiser le projet dans les prochains mois ?

Je dois avouer que le rythme est très intense en ce moment. Il y a encore beaucoup de préparatifs prévus pour tout l’été. On part de Concarneau le 15 septembre pour aller faire un départ symbolique de Plymouth le 21 septembre [ndlr. Lieu de départ de Darwin, il y a 200 ans]. Il y aura un deuxième départ « français » organisé à Concarneau le 3 octobre, j’invite d’ailleurs tous ceux qui le souhaiteraient à se joindre aux festivités !

On prend d’abord la direction du Cap Vert pour la première zone de travail. Les deux sujets vont être le poulpe et l’Alouette de Razo. Le premier pour une approche scientifique, le deuxième lié à une initiative citoyenne de préservation. Pour le poulpe, l’objectif est de documenter le comportement collaboratif entre les poulpes et les poissons. Il s’agira d’un mini programme scientifique avec un spécialiste portugais. Mukti lui permettra de partir dans des zones reculées avec une autonomie de plongée.

Cette étude rejoindra directement les travaux de Darwin. Il était fasciné par le poulpe, ses capacités défensives de projeter de l’eau ou de l’encre, son côté caméléon. Maintenant, on le sait, c’est un animal très intelligent qui possède 9 cerveaux.

Poulpe (©Albert Kok)
Poulpe (©Albert Kok)

L’Alouette de Razo, quant à elle, n’as pas été documentée par Darwin. Je me laisse d’ailleurs libre de faire de petits écarts par rapport au travail de Darwin sur les études que je souhaite mener. Cette Alouette a failli disparaître, à cause de la désertification progressive de certaines îles du Cap Vert. Observant que l’espèce était proche de l’extinction, les citoyens ont fait une  réintroduction sur l’île de Santa Lucia. Cette réintroduction était basée sur des études scientifiques et elle a très bien fonctionné !

Depuis 2018, ils font des comptages et la population ré-introduite a pris. Il n’y a encore aucune certitude sur la survie de cet oiseau mais l’espèce est aujourd’hui plus résiliente. Ce qui est de bon augure ! Sur place, je vais donc filmer le comptage et interviewer le responsable de l’ONG Biosfera, chargé du protocole.

Bien sûr, tout ceci sera à suivre au fur et à mesure sur la chaîne Youtube du projet.

Et si vous souhaitez accompagner Victor dans son aventure et obtenir des nouvelles exclusives, c’est par ici.

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