Enquête : Le sexisme dans le milieu professionnel maritime

Parce que les femmes ont longtemps été écartées par superstition, les gens de la mer étaient réputés machistes. Qu’en est-il aujourd’hui, à l’heure où la société débat furieusement sur les inégalités de genre ? SEAtizens a enquêté et recueilli les témoignages de professionnelles du nautisme et de l’industrie navale pour dresser une cartographie du sexisme dans le milieu maritime.

Toutes les études réalisées ces dernières années le démontrent, si les femmes ont, grâce aux combats de leurs aînées, acquis en France la majorité des droits leurs permettant en théorie de devenir l’égal de l’homme, elles sont en pratique confrontées à un sexisme grandissant. Le milieu maritime ne souffre-t-il donc que du patriarcat endémique, ou fait-il face à des problèmes plus spécifiques et un sexisme plus marqué ? 

Selon l’INSEE les secteurs d’économie maritime emploient 49% de femmes. On note qu’elles occupent majoritairement des postes du tertiaire notamment dans les domaines des assurances et banques maritimes ou le tourisme maritime. On retrouve aussi une part importante des femmes dans la vente ou la préparation des produits de la mer. Dans tous les autres secteurs, elles sont très sous représentées. Elles ne représentent par exemple que 10% des emplois navigants et 19% des emplois de la construction ou réparation navale. 

La présence féminine est donc très contrastée, majoritaire dans certains secteurs et strictement minoritaire dans d’autres. Cette disparité peut être expliquée par des constructions sociales. Il n’y a pas si longtemps, les emplois navigants ou ceux de l’industrie navale étaient aux antipodes de l’idéal féminin propagé dans la société. Dans le cas des emplois navigants, s’ajoute la problématique de ne pas pouvoir faire “la double journée” classique des femmes, car ce sont encore elles qui assurent la grande majorité des tâches de gestion du foyer.

Enquête sur les situations de sexisme dans le monde professionnel maritime

En l’absence de données officielles sur le sexisme propre au milieu professionnel maritime, SEAtizens a pris l’initiative d’effectuer une enquête. Un sondage a été diffusé via le compte Linkedin du média, 170 professionnelles y ont répondu. 73% d’entre elles travaillent dans le domaine naval qui regroupe les activités liées aux navires commerciaux et de défense et 24% dans le domaine du nautisme qui correspond aux emplois liés aux loisirs maritimes et à la plaisance. Les longueurs de carrières des répondantes sont suffisamment diverses pour être représentatives.

Graphique sur l'ancienneté

Cependant, au vu de la méthode d’étude et de la taille restreinte de l’échantillon, les résultats ne peuvent avoir de valeur scientifique stricte mais ils permettent de dépeindre un premier aperçu de la situation.

Actes de sexisme

Les discriminations sexistes en pôle position

Si l’on compare les données récoltées par SEAtizens à celles du baromètre sexisme 2024 du Haut Conseil pour l’Egalité, elles sont pour quasi toutes les situations au-delà de la moyenne française. Seule la discrimination à l’emploi, qui a touché 12% des répondantes, est égale aux résultats du baromètre sexisme. Cependant, on note dans les témoignages un schéma récurrent de propositions d’embauche en tant qu’hôtesse, ou de refus de candidature sans motifs valables pour les femmes présentant des CV de skipper. 

Le mansplaining, a été défini par Rebecca Solnit comme ”une explication faites à une femme par un homme sur un ton condescendant sans tenir compte du fait que son interlocutrice en connaisse plus que lui sur le sujet”. Selon notre sondage, 63,7% des répondantes ont subi des situations de mansplaining quand la moyenne nationale est de 37%. 

De la même façon, la part des femmes ayant connu des difficultés à prendre la parole au sein d’un groupe est quasiment deux fois supérieure à celle présentée dans les résultats du baromètre du HCE.

L’enquête a aussi permis de récolter divers témoignages illustrant ce résultat. Sandra [NDLR : Prénom modifié] indique par exemple : « Toujours le même collègue : les remarques des femmes sur un sujet n’étaient jamais prises en compte et pas systématiquement d’invitation aux réunions qu’il animait même si on était directement concernées par le sujet ». D’autres font état d’un harcèlement misogyne sur leurs compétences professionnelles.

On retrouve aussi plusieurs témoignages de propagation de rumeur de ”promotion canapé” visant à décrédibiliser le professionnalisme des femmes. Enfin, les remarques sexistes ne se cantonnent pas aux collègues. Certaines déplorent le comportement des clients, avec des situations particulièrement misogynes lors des salons. Des responsables de bureaux d’études ou des cheffes de produit n’en peuvent plus d’entendre “Vous ne pouvez pas m’aider Madame : c’est technique”.

Mais aussi des actes de violence

Aux discriminations, s’ajoutent les violences sexistes et sexuelles. En 2017, une étude de L’ifop regroupait dans cette catégorie, les situations de « sifflements et gestes déplacés », « remarques désobligeantes sur la tenue », « étreintes et baisers », « insistance pour avoir un rapport sexuel », « acte sexuel imposé ». Cette étude indique que les françaises sont 55% à avoir subi l’une de ces situations au travail. Dans le cadre de notre enquête, c’est 86% des répondantes qui ont eu affaire dans leur carrière à des violences sexistes ou sexuelles.

Le violentomètre du sexisme au travail

Il est aussi possible de comparer ces réponses à celles du baromètre sur le sexisme du Haut Conseil pour l’Egalité. Ainsi, la moyenne nationale indique que 8% des françaises ont subi des étreintes ou baisers faits par un collègue ou un homme qu’elle ne connaissait pas, tandis que 12% des femmes du secteur maritime indiquent avoir subi cela de la part d’un collègue. Le monde maritime semble donc plus violent envers les femmes que la moyenne nationale.

Les témoignages recueillis mettent en lumière le caractère systémique des comportements sexistes. Une employée d’un grand groupe de l’industrie navale indiquait ainsi que “les comportements déplacés étaient si banalisés que sa collaboratrice ne voyait même plus en quoi c’était problématique que l’un de leurs collègues lui mette très régulièrement des mains aux fesses”. 

L’inaction de la hiérarchie est aussi souvent pointée du doigt. Dans un chantier naval, un salarié venait régulièrement dans une zone de travail où il n’avait pas accès pour importuner les femmes qui y travaillaient, de nombreux signalement ont été fait. La direction n’a jamais daigné se pencher sur le problème. Parfois les violences viennent même directement de la hiérarchie. Une répondante indique ainsi qu’une entreprise dans laquelle elle a travaillé appliquait le “droit de cuissage” à l’embauche.

Certains de ces témoignages rappellent l’affaire Génavir qui avait participé à rompre l’omerta sur les affaires de harcèlement sexuel au sein de la marine marchande. Dans son article consacré à cette affaire, Le Monde soulignait à quel point les bateaux sont propices aux abus, de par l’exiguïté du lieu, l’estompage de la barrière vie privée – vie professionnelle, l’éloignement familial, la surreprésentation masculine, et la culture machiste. Ces conditions se trouvent aussi réunies pour les personnel.lles embarqué.es du milieu du nautisme. Les événements nautiques, tels que les salons, transparaissent aussi comme propices aux délits sexistes, la culture machiste étant renforcée par l’aspect festif et la consommation d’alcool.

De l’infraction au délit, le droit ne laisse plus passer le sexisme en milieu professionnel

S’il est usuel que le sexisme en milieu professionnel soit minimisé, que l’on demande aux femmes de prendre sur elles ou que l’on écarte celles qui le dénoncent avec trop de virulence, la loi est très claire sur le sujet. Depuis 2015 le droit s’est adapté pour combattre le sexisme ordinaire.

justice
Photo de Tingey Injury Law Firm sur Unsplash

Le code pénal décrit l’outrage sexiste comme le fait d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui :

  • soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant ;
  • soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

Il peut être aggravé si par exemple il est commis par une personne qui abuse de son autorité. L’auteur de cette infraction risque une amende de 3750 euros.

Si l’outrage sexiste est répété on peut basculer dans le harcèlement sexuel. Ainsi, contrairement à l’idée reçue, le harcèlement sexuel n’est pas forcément lié à la recherche d’un acte sexuel. La répétition de blagues dégradantes est elle aussi un délit. L’auteur encourt 2 ans de prison et 45 000 euros d’amende.

Le code pénal indique également que l’employeur est tenu de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner. S’il ne le fait pas, sa responsabilité peut être engagée et ce, même si la qualification pénale de harcèlement sexuel n’a pas été retenue par les juges.

Alors, que ce soit parce que l’on croit en l’égalité ou parce que l’on a d’autres projets que la prison, nous avons tous une raison de lutter contre le sexisme dans le milieu maritime. Les employeur.e.s et managers.euses, doivent mettre en place un climat égalitaire et sécuritaire pour les femmes. Il existe pléthore de ressources et de guides sur le sujet (vous trouverez quelques liens utiles à la fin de cet article).

Comment faire bouger les lignes ?

La première étape est évidemment de questionner ses propres comportements, être attentif à ne pas reproduire des schémas hérités. Cela parait évident, mais au vu des témoignages reçus au cours de l’enquête il est nécessaire de le rappeler. Les femmes occupent des postes techniques. Elles prennent des responsabilités dans des domaines qui étaient majoritairement masculins au siècle dernier mais cela n’entrave en rien leur expertise.

©Institut Montaigne

L’inverse est d’ailleurs démontré par l’institut Montaigne. Les femmes qui se sont adaptées à un milieu masculin ont tendance à sur-performer pour se hisser au même rang que leurs confrères. Les résultats sont chiffrés, sur un échantillon de 300 entreprises dans le monde, celles comptant le plus de femmes dans leurs instances de direction sont à 47 % plus rentables que celles qui n’en ont aucune. Ces chiffres doivent encourager les instances dirigeantes à embaucher plus de femmes, à leur faire confiance, et à favoriser leur formation si le domaine manque de femmes diplomées.

Aussi, on constate qu’encore aujourd’hui les femmes ont moins le droit à l’erreur dans le monde professionnel et doivent faire preuve d’excellence pour mériter des postes considérés comme standard pour les hommes. La citation de Françoise Giroud semble n’avoir pas pris une ride : « La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. » Offrons leur le luxe de la médiocrité, cessons de demander aux femmes d’être exceptionnelles pour être acceptées dans le milieu, des tas d’hommes moyens ont fait toute leur carrière sans faire de vague. 

Enfin, il ne suffit pas d’être soucieux de ses agissements, il faut cesser d’être passif, et oser s’interposer quand on est témoin d’agissements sexistes. Rester silencieux face à une blague humiliante, des réponses inutilement condescendantes ou un manque d’écoute systématique rend complice de ces agissements.

Pour reprendre une citation bien connue de la pop culture, “Il faut du courage pour affronter ses ennemis mais il en faut encore plus pour affronter ses amis…”

Lien utiles

Retrouvez notre enquête sur la place des femmes dans le monde de la voile.

https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/egalite-professionnelle/travaux-du-hce/

https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/feminisation-des-emplois-dans-lindustrie-le-guide-pratique?source=7effff0f-0521-4cf9-8987-bd515e6f6cf4

https://www.prefectures-regions.gouv.fr/centre-val-de-loire/irecontenu/telechargement/78960/510392/file/Synth%C3%A8se_Centre_Val_de_Loire.pdf

https://www.anact.fr/sexisme-au-travail-tout-ce-que-vous-voulez-savoir

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