Partir explorer les mers les plus dangereuses dans l’océan Indien, naviguer pendant plusieurs semaines loin de toute terre en Atlantique ou dans le Pacifique pour scruter les grands fonds et analyser les courants marins, les expéditions océanographiques françaises sont mythiques et stimulent notre imaginaire ! Quel marin n’a jamais rêvé d’embarquer sur un navire de la flotte océanographique française ? Aujourd’hui, face aux objectifs de réduction de l’empreinte environnementale d’un navire, la flotte océanographique évolue tandis qu’un nouveau format d’expédition à la voile voit le jour.
La flotte océanographique française
Considérée comme l’une des cinq plus importantes flottes de navires océanographiques au monde et opérée par l’Ifremer, la flotte française se compose de 4 navires hauturiers et 3 navires semi-hauturiers ayant pour objectif la collecte de données afin de mieux connaître et préserver les océans. L’importance de l’océan et donc de ces recherches peut-être résumée en une citation de Sylvia Earle, fondatrice de Mission Blue, qui écrit dans son livre The World is Blue : « Même si vous n’avez jamais la chance de voir ou de toucher l’océan, il vous touche à chaque fois que vous respirez, à chaque goutte d’eau que vous buvez, à chaque bouchée que vous consommez. Tout le monde, partout, est inextricablement lié à l’existence de la mer et en dépend totalement. Si vous pensez que l’océan n’est pas important, imaginez la Terre sans lui. Mars me vient à l’esprit. Pas d’océan, le système de soutien de la vie n’existe pas. »
Les défis de la flotte océanographique sont donc conséquents et multiples, tant scientifiques que technologiques. En effet, une planification à moyen termes, pensée en 2018, a débouché sur un second défi de taille : le renouvellement des navires ! Pourquoi ?
En 2023, les navires de la flotte océanographique ont une moyenne d’âge de plus de 20 ans et les technologies de propulsion actuellement installées à bord ne permettront pas de relever les objectifs fixés par l’OMI en termes d’émissions de polluants. Pour rappel, l’OMI veut atteindre le zéro émission dans le cadre du transport maritime à l’horizon 2050. Or, un navire de la flotte océanographique française comme le Marion Dufresne 2, utilise pour sa propulsion trois groupes électrogènes fonctionnant au diesel, reliés à des moteurs électriques d’une puissance d’environ 3 mégawatts chacun. Même si ces chiffres ne parlent pas à tout le monde, la consommation de diesel journalière d’une telle motorisation est de l’ordre de quelques dizaines de tonnes ! Dans ce contexte, Olivier Lefort, directeur de la flotte océanographique française, indique sur le site internet dédié à la flotte qu’un des axes majeurs du travail à effectuer « concerne la prospective technologique qui va nous permettre de compléter l’identification des technologies innovantes afin de décarboner l’activité, depuis les solutions de propulsion des navires aux drones et à la téléprésence. » Il ajoute que la décarbonation de la flotte, pour atteindre à l’horizon 2030 une réduction de 40% des gaz à effet de serre, sera possible sous deux conditions : » il va falloir réfléchir non seulement aux solutions « techno » mais, au regard des prospectives scientifiques, également à une façon de travailler différente ».
L’Ifremer œuvre pour le renouveau de sa flotte et pas seulement !
Dans ce contexte de décarbonation de la flotte océanographique, l’Ifremer est proactif et un nouveau navire va voir le jour d’ici 2025. Ce navire semi-hauturier sera construit par le chantier espagnol Freire et remplacera le Thalia. Sur le site de Freire, il est expliqué que pour minimiser la consommation de carburant et économiser l’énergie à bord, l’accent a été mis entre autre sur les axes d’études suivants : la conception de la coque, de la motorisation, du niveau d’isolation thermique et de l’efficacité de l’air conditionné. Sarah Duduyer, responsable du projet au service Navires et équipements à l’Ifremer ajoute que ce navire « équipé de groupes électrogènes de toute nouvelle génération, pourra également s’approvisionner en biocarburants (NDLR : Il est prévu de l’allonger ultérieurement, de le « jumboïser », afin de modifier le type de propulsion quand les technologies envisagées seront matures). Toujours dans cette optique de décarbonation, un projet de renouvellement du Marion Dufresne à l’horizon 2032 a vu le jour. Dans l’offre d’emploi proposée par les Terres Australes et Antarctiques Françaises et publiée en avril 2023 dans la revue Jeune Marine, il est clairement indiqué “la mise en place d’une veille technique, technologique et juridique, systématique permettant de suivre l’état de l’art et les travaux d’innovations en cours (coque, propulsion, énergie) » dans un objectif de renouvellement du navire et de réduction de l’empreinte carbone.
A ces projets de renouvellement des navires, des projets de modernisation, notamment de la motorisation, de certains navires ont eu lieu où sont en cours. Ces projets visent à assurer le maintien en opération des navires durant les prochaines années tout en respectant les critères réglementaires imposés notamment en termes d’émission de polluants. Ainsi, l’Atalante a vu son système propulsif modernisé en 2021-2022.
Outre le renouvellement et la modernisation de sa flotte, l’Ifremer organise le concours d’innovation Octo’pousse qui vise à identifier et accompagner des startups dans le domaine de l’Oceantech. En 2023, les 3 projets finalistes du concours présentent des innovations pour la décarbonation du trafic maritime. Ce coup de pouce témoigne de la volonté qu’à l’institut de s’inscrire dans une démarche active pour décarboner le trafic maritime.
Des expéditions océanographiques à la voile
Outre les expéditions océanographiques opérées par l’Ifremer, un autre type de missions scientifiques hauturières existe : les expéditions à la voile ! En effet, ces dernières années, la voile a fait son grand retour pour décarboner le transport maritime et elle revient sur le devant de la scène afin de mener des expéditions océanographiques ! Le caractère décarboné de la démarche, bien souvent accentué par le fait qu’un voilier fait nettement moins de bruit qu’un navire à moteur, rend ce type d’expédition particulièrement adaptée au contexte actuel visant à la réduction de l’empreinte environnementale des navires et à parcourir un océan sans en perturber l’écosystème.
Quand on mentionne l’océanographie et la voile, une des premières structures qui nous vient en tête est la Fondation Tara Océan, fondée en 2003, ayant à ce jour réalisée 12 expéditions océanographiques sur une goélette de 36 mètres de long. Aujourd’hui, de nombreuses structures ont emboîté le pas à la Fondation Tara Océan et proposent à la communauté scientifique la possibilité de pratiquer l’océanographie sur des voiliers. C’est le cas de L’Océan des Possibles Expéditions qui entend organiser des expéditions océanographiques à la voile afin de contribuer à la décarbonation des sciences océanographiques. Encore en construction, l’association se structure progressivement avec pour objectif de s’implanter à Madagascar pour 2 ans, en dédiant 4 à 6 mois de chaque année passée sur place aux expéditions océanographiques. Mais alors pourquoi on vous parle de ce projet encore en construction ?
Simplement parce que ce projet d’expéditions océanographiques à la voile provient directement du retour d’expérience d’un lieutenant de la marine marchande ayant travaillé au sein de la flotte océanographique française. En effet, c’est la rencontre sur le Marion Dufresne entre Arsène Rousseau, lieutenant océanographique, et Guillaume Chandelier, doctorant en biologie marine, qui constitue le fondement de l’association. De cette rencontre émerge un constat : les expéditions océanographiques auxquelles ils participent sont trop polluantes. Ils décident alors de lancer leurs expéditions océanographiques à la voile, dans un bassin qu’ils connaissent bien, le canal du Mozambique. L’enjeu de ces expéditions qui emmèneront à bord 4 à 6 scientifiques sera la protection de l’océan et de ses écosystèmes. En outre, avec ces expéditions océanographiques et des actions terrestres locales, l’association souhaite également développer des systèmes low-techs répondant à l’urgence de la situation environnementale et sociétale actuelle et donner accès à la formation à des populations dans le besoin en s’implantant dans des régions clefs.
L’Océan des Possibles Expéditions est actuellement basée à Lorient et s’est déjà dotée de deux voiliers de 6 mètres. Ces derniers navigueront le long des côtes bretonnes pour mener les premières expéditions océanographiques côtières de l’association. Une collaboration avec les étudiants bretons en océanographie sera mise en place et permettra à l’Océan des Possibles de développer son modèle avant de s’implanter à Madagascar. En parallèle de cette activité, l’association œuvre pour acquérir son voilier d’expédition hauturier avant la fin de l’année 2023. Le voilier, une goélette de 23 mètres de long, a déjà été identifié. Après 5 mois de travaux d’adaptation du bateau aux sciences océanographiques, la goélette sera convoyée jusqu’à Madagascar et l’association entend participer à certains programmes scientifiques durant ce long convoyage.
Ainsi, l’avantage de ce type d’expédition vélique est la pratique de l’océanographie d’une manière plus durable et quasiment entièrement décarbonée sans perturber l’écosystème étudié. Cela est un atout indéniable dans le contexte environnemental actuel. Néanmoins, Eric Defert, fondateur de Blue Observer, société organisant des expéditions océanographiques à la voile, explique dans un entretien accordé à Ouest France : “ Les navires hauturiers comme le Pourquoi pas ? font des choses qu’on ne pourra jamais répliquer”. En effet, les vitesses d’un navire à la voile sont variables, les trajectoires plus difficiles à contrôler que lorsqu’un navire fait route au moteur et les quantités de matériel embarqué sont également incomparables.
Ainsi, les expéditions à la voile ne remplaceront pas les expéditions de la flotte océanographique mais une action conjointe et complémentaire sera elle le fruit de la recherche océanographique future présentant une empreinte carbone minimale ?