Coraux qui blanchissent, fonds marins dépeuplés ou plages qui disparaissent littéralement, les SEAtizens sont aux premières loges pour évaluer les dégâts de la pollution et du dérèglement climatique sur l’état de la mer. Alors, comment éviter le pire ? Et si la sobriété nautique était l’avenir du marin ?
Un bien lourd constat
Le marin est – par essence – en phase avec son milieu. La règle tacite, c’est de ne pas lutter contre la mer. On tente de vivre avec elle, avec sa puissance et sa démesure. Mais en même temps, le marin – qu’il navigue pour des raisons professionnelles ou pour son plaisir personnel – cherche à vivre la mer en sécurité et… de plus en plus confortablement.
Depuis une vingtaine d’années, les bateaux de particuliers ont tendance à devenir plus énergivores (voir notre article « Naviguer sur un voilier écolo, fantasme ou réalité ? »). Le confort « comme à la maison », souhaité à bord de ces unités, nécessite toujours plus de production d’énergie. Et nos navires deviennent plus grands, larges et lourds, pour permettre d’emmener une charge utile toujours plus importante… Mais ce n’est pas tout. S’ils sont plus lourds et plus grands, nos bateaux sont aussi plus nombreux !
Le nautisme, une évolution en hausse constante
Il y avait, en France, au 31 décembre 2021, un peu plus d’un million de bateaux immatriculés (exactement 1 049 340). 80% de ces unités sont des bateaux à moteur(s). La majorité (56%) fait moins de 5 m (et 85% du total des bateaux immatriculés font moins de 7 m). En 2021, un peu plus de 12 000 nouveaux bateaux ont été immatriculés en France (en hausse de 19% par rapport à 2020 et au même niveau qu’en 2019).
Encore quelques chiffres ?
L’industrie nautique italienne a atteint un chiffre d’affaires record de 6 milliards d’euros en 2021. En France, elle pèse quelque 4,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour 5 668 entreprises et plus de 41 000 salariés, toujours en 2021. Bref, l’industrie nautique mondiale est importante et surtout… se porte bien !
Le rêve de posséder son propre bateau reste très ancré dans l’imaginaire de nombre d’entre nous et l’évolution – même avec un pétrole de plus en plus cher – tend vers une augmentation toujours plus importante.
Et pour enfoncer le clou !
Et qu’en est-il du transport maritime ? 95 000 navires – ils étaient 51 000 en 2013 – transportent plus de 90% du commerce mondial, soit environ 9 milliards de tonnes de fret. Pour être tout à fait clair, il y a du monde sur l’eau et surtout… ce n’est pas près de changer !
La technologie au secours d’un marché au bord de l’asphyxie ?
Le problème de l’industrie nautique (hors navires de commerce), c’est qu’un bateau a une durée de vie très importante, de plus de trente ans en moyenne. Et en 2021 en France, seuls 2 400 bateaux ont été « déconstruits » (voir notre article « Une nouvelle vie pour les épaves »). Il faut donc, chaque année, trouver de nouvelles places de port. Imaginer des solutions pour sauvegarder les mouillages les plus appréciés (voir nos articles « Croisière : Faut-il sanctuariser certaines zones » et « Faut-il sanctuariser les océans »). Et offrir toujours plus de confort à bord des bateaux pour toucher un nouveau public d’acheteurs plus « terriens » que « marins ».
Alors, comment fait-on pour aller vers ce « toujours plus » : plus de bateaux, plus d’espace à bord, plus de confort, plus de puissance, plus de vitesse ? La solution miracle que l’on appelle à la rescousse est – comme souvent – la technologie. Le savant (ici l’architecte ou l’ingénieur) va bien trouver une solution.
Motorisation électrique, moteur à hydrogène, panneaux solaires, éoliennes, réservoirs à eaux noires, jamais les constructeurs n’ont été aussi imaginatifs pour nous faire « naviguer écolo » ou nous vendre des bateaux toujours plus « techno » (et donc plus chers). Certains ports ressemblent à d’immenses parkings où les bateaux s’entassent dans des racks de plusieurs étages. Un simple coup de fil au port et votre bateau sera à l’eau à l’heure de votre choix. Vous pourrez même demander à ce qu’il soit nettoyé et que l’avitaillement soit fait selon vos désirs. Les bouées (obligatoires) se multiplient dans de nombreux mouillages. Les parcs naturels (aux entrées souvent payantes) se multiplient à travers le monde. Jusqu’où pourrons-nous aller dans cette surenchère ?
La sobriété nautique, un concept en plein développement ?
Depuis quelques années, on voit fleurir des concepts pour répondre à une demande croissante pour des bateaux plus « responsables ». Le challenge des architectes devient aujourd’hui de réussir à dessiner des bateaux plus rationnels. Mais aussi des bateaux qui soient plus vertueux dans leur cycle de vie, en termes d’émissions de gaz à effet de serre notamment.
Face à une demande croissante, chantiers et architectes travaillent de plus en plus nombreux sur ces thèmes qui ne préoccupaient personne, il y a encore quelques années. On ne va pas, au nom de la sobriété nautique, revenir aux bateaux en bois des années 40, dont l’équipement principal était un seau en fer blanc.
Mais on peut imaginer des bateaux plus performants sous voile, pour éviter de devoir mettre en marche le(s) moteur(s) quand le vent descend sous les 15 nœuds. Des bateaux auto-suffisants et produisant l’énergie dont ils ont besoin au quotidien via panneaux solaires / éoliennes / hydroliennes etc. Des bateaux consommant moins en navigation grâce à des carènes optimisées ou des foils, à l’image des bateaux de course. Des bateaux conçus avec des produits moins dépendant des énergies fossiles et imaginés dès le départ pour pouvoir être entièrement déconstruits et recyclés à la fin de leur cycle de vie…
Le partage et l’autorégulation comme symbole de la société de demain
Mais la réalité d’une (relative) sobriété nautique ne passera que par un profond changement des mentalités. La dernière étude répertoriant le nombre de jours de navigation des plaisanciers en France est un peu datée (2016). Mais elle montre que 43% des plaisanciers sortent du port moins de 29 jours par an (et ils sont seulement 12% à être en mer plus de 90 jours par an).
Alors ?
Alors, ne serait-il pas temps d’imaginer une autre manière de « consommer » la mer ? La nouvelle donne n’est-elle pas, à l’instar de l’automobile dans les grandes villes, d’accepter de ne plus être propriétaire et de s’adapter à un nouveau mode de consommation ? L’idée peut-elle être de passer du « j’achète un bateau à j’achète de l’utilisation ? ». Plusieurs loueurs se sont déjà lancés sur le créneau en proposant des abonnements permettant d’utiliser un bateau un certain nombre de jours par an.
L’avantage de ce système est d’arriver à une sobriété « non punitive », la seule qui soit acceptable par le public et les passionnés.
Mais l’inconvénient est de réduire drastiquement le nombre d’unités construites chaque année. Un vrai gain pour la planète, mais une perte financière immense – et donc des emplois – pour l’industrie nautique en général. Qui pourrait aujourd’hui l’accepter ?
Et demain ?
Les tenants du « c’étaient mieux avant » et voulant revenir à une époque révolue n’auront pas gain de cause. Les mouillages seront de plus en plus encombrés et les bateaux qui s’y rendront, toujours plus confortables.
Mais nous pouvons imaginer des bateaux silencieux, consommant peu (vive la voile) et ne rejetant aucun déchet ni eau souillée dans la mer. Des bateaux propres, autonomes en énergie et aussi agréables à vivre qu’à regarder. Des bateaux sur lesquels on trouverait un marquage permettant de connaître la quantité exacte de tonnes de CO2 émise pour sa construction et son utilisation. Un bateau sur lequel j’aimerais vraiment bien naviguer…