Industrie pharmaceutique : L’océan, le remède de demain ?

Depuis plusieurs décennies, les chercheurs se tournent vers l’océan. La raison ? Celui-ci abrite de nombreuses espèces animales ou végétales, parfois méconnues, aux propriétés extraordinaires. L’une d’entre elles, la limule, dont le “sang bleu” permet à certains laboratoires pharmaceutiques de créer des vaccins, s’est retrouvée sur le devant de la scène, soulevant de nombreuses questions sur l’exploitation du vivant. Alors, l’océan est-il réellement le remède de demain ? Explications.

Une photo qui fait vaciller l’industrie pharmaceutique

Pour la seconde fois, le photographe français Laurent Ballesta a été élu “Wildlife photographer of the year” 2023. Son triomphe, il le doit à une incroyable photo d’une limule dorée immortalisée dans les eaux de l’île Pangatalan aux Philippines, une zone protégée. Le Tachypleus tridentatus est l’une des quatre espèces connues de limules. Sa population est difficilement quantifiable mais l’on sait qu’elle vit entre 15 et 20 mètres de profondeur dans les eaux chaudes des Philippines, au Japon, aux Etats-Unis ou encore au Cambodge. Sa particularité : c’est l’une des espèces vivantes les plus anciennes de notre planète. Cet arthropode a près de 450 millions d’années et “n’a pas évolué depuis 100 millions d’années”, comme l’affirme Laurent Ballesta à Ouest France.

Laurent Ballesta : Limule
©Laurent Ballesta

Malheureusement, cette espèce est doublement menacée. Victime de la destruction de son habitat, cette survivante de l’histoire chaotique de la planète a dû affronter la pêche à la dynamite ou au cyanure, ou encore la destruction des mangroves et marécages. Mais aujourd’hui, elle doit faire face à un nouveau danger : le prélèvement intensif de son sang bleu aux propriétés particulières. Chaque année, c’est plus de 500 000 limules qui sont capturées sur la côte est américaine au profit de l’industrie pharmaceutique. Le sang bleu de limule contient en effet un puissant réactif à la présence de bactéries. Il permet ainsi aux laboratoires de tester certains vaccins ou des stimulateurs cardiaques. Si les autorités américaines autorisent la capture des limules, la condition est qu’elles soient ensuite relâchées vivantes. Mais une bonne partie d’entre elles ne survivent pas aux prélèvements sanguins. De nombreuses associations ont ainsi appelé à cesser les tests sur les limules.

Des vers marins pour soigner les grands brûlés…

Evidemment, la limule n’est pas la seule espèce marine exploitée par les laboratoires pharmaceutiques. En décembre 2023, le CHU de Nantes a publié un communiqué de presse indiquant qu’un patient brûlé au 2e et 3e degré avait reçu, pour la première fois en France, un traitement innovant. Il s’agit du pansement oxygénant HEMHealing© réalisé à partir de l’hémoglobine du ver marin Arenicola Marina. Celle-ci transporte 40 fois plus d’oxygène que l’hémoglobine humaine et possède donc un pouvoir cicatrisant particulièrement puissant. Ce nouveau traitement, présenté comme une avancée majeure, voit ses champs d’application se multiplier. Et c’est probablement une bonne chose pour la science et la médecine…

Chien de mer
Chien de mer (photo d’illustration)

On le sait aujourd’hui, la faune et la flore marine sont d’une immense richesse. On pourrait également citer le cas du chien de mer, une espèce de squale vivant en hémisphère nord à près de 900 mètres de profondeur. Selon une étude publiée en 2007, l’extrait aqueux de ses cartilages a permis à la firme canadienne Æterna d’isoler une molécule aux propriétés anti-cancéreuses.

La mer et l’industrie pharmaceutique, une histoire d’amour ?

Mais comme le constate cet ancien rapport du Centre National pour l’Exploitation des Océans (CNEXO), publié en 1973 et disponible dans les archives d’IFREMER, Il y a une cinquantaine d’années, les produits d’origine marine n’occupaient qu’une “place restreinte dans l’éventail des agents pharmaceutiques applicables à l’homme”. D’ailleurs, le rapport déplore le manque d’efficacité de ces produits qui “n’ont que rarement conduit à des médications majeures”.

Cinquante ans plus tard, l’exploitation de la biomasse marine par l’industrie pharmaceutique semble exponentielle. En effet, selon une enquête publiée en 2004 sur le sujet, en raison de son ancienneté (plus de 3,5 milliards d’années), les êtres vivants dans les océans présentent des structures biologiques beaucoup plus diversifiées que les organismes terrestres. De plus, les moyens de communication entre les espèces ou les systèmes de défense basés sur la production de substances chimiques retiennent particulièrement l’attention des chercheurs. Ils voient là en effet une possibilité de découvrir de nouveaux « agents thérapeutiques susceptibles de renforcer ou de diversifier les gammes existantes en antibiotiques, antitumoraux, pesticides, etc.”, comme le souligne l’étude.

Mais il ne faut pas s’y tromper, l’objectif de la recherche n’est, en temps normal, en aucune façon de piller ou de prélever massivement dans la nature. Il s’agit de trouver des modèles et de parvenir à synthétiser les molécules. C’est pourquoi le cas de l’exploitation des limules par l’industrie pharmaceutique est particulièrement choquant. Ainsi, dans un contexte de concurrence internationale acharnée entre les équipes de recherches académiques et industrielles, la recherche scientifique et ses applications doivent se faire dans le respect des organismes vivant dans nos océans et de leurs habitats. Sans quoi, toute velléité de soigner les maux des hommes conduira inexorablement à la destruction pure et simple de nombreuses espèces… et au passage de tout sens commun.

Pour aller plus loin, voir notre article sur le biomimétisme.

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