Le « zéro émission » dans le nautisme : greenwashing ou lame de fond ?

Paquebots zéro émission, cargos à voiles, bateaux à hydrogène et/ou tout électrique, construction éco-responsable et navires recyclables, le monde de la mer se met au vert. Les chantiers et les exploitants de ces embarcations ont bien compris que leurs publics – ceux qui les font vivre – veulent consommer mieux et surtout de manière plus éthique pour notre planète. Mais ces évolutions sont-elles significatives ou ne s’agit-il que d’éléments de langage permettant à ces entreprises de se donner une bonne image à bon compte ? L’enquête de SEAtizens…

Le paquebot du futur dévoilé par Ponant
Le paquebot du futur dévoilé par Ponant

Un constat, une réalité, des conséquences

La planète va mal. Et les océans ne vont guère mieux. Le consensus scientifique est aujourd’hui (et depuis plus de trente ans – le GIEC a été créé en 1988) établi. Et même les classes politiques de nos pays commencent à prendre conscience de l’urgence à réagir en essayant de mettre en place des mesures pour limiter les dégâts et trouver des solutions vivables dans un monde à +4°C (par rapport à l’ère préindustrielle) à la fin du siècle. Comme souvent, la société civile et les militants – toujours plus informés – ont été les premiers à tirer le signal d’alarme.

Les plus vieux d’entre nous se souviendront de René Dumont, premier écologiste candidat à l’élection présidentielle de 1974, qui avait fait sensation en buvant un verre d’eau à la télévision en expliquant que, bientôt, l’eau serait une denrée rare. Le résultat ? 1,32% des suffrages exprimés et des moqueries sans fin pour un homme qui aura eu le tort d’avoir raison… un peu trop tôt !

Cette époque est maintenant révolue et, à l’exception notable de quelques « négationnistes complotistes » au pouvoir de nuisance réel grâce à leurs accointances avec certains médias, tout le monde est d’accord sur le fait qu’il faut réduire nos émissions de CO2. Et si tout le monde est d’accord, cela signifie – dans notre société capitaliste – que les entreprises doivent proposer à leur clientèle des solutions pour qu’elle puisse continuer à consommer leurs produits en toute bonne conscience.
Vous voulez du zéro émission ?
On va vous en donner !

Des efforts conséquents pour l’industrie nautique

Depuis une dizaine d’années, on voit fleurir ici ou là, sur les salons nautiques ou dans les communiqués de presse des architectes, des solutions plus ou moins exotiques pour tenter de limiter l’empreinte carbone des bateaux pour les particuliers (voir notre article), mais aussi pour le transport maritime (voir ICI ou encore ICI).
Les efforts et les recherches portent sur trois plans : la construction, l’utilisation et la déconstruction. Évidemment, les problématiques ne sont pas les mêmes que l’on parle de cargos, de paquebots, de yachts ou de bateaux de particuliers.

Mais l’industrie nautique dans son ensemble, cherche manifestement des solutions pour rendre l’empreinte de ses bateaux/navires/cargos plus supportables pour la planète.

Des cargos dont une partie de la propulsion sera assurée à la voile sont ainsi déjà en construction. Tandis que certains armateurs équipent leurs porte-containers existants d’artifices aérodynamiques permettant de limiter la consommation de fioul lourd.

D’autres solutions sont à l’étude, allant de la construction de porte-containers toujours plus grands (pour obtenir un ratio tonne transportée/km parcouru toujours meilleur), à l’utilisation d’énergies alternatives plus ou moins réalistes, dont l’hydrogène. Rappelons-le ici encore une fois, l’hydrogène n’existe pas à l’état « naturel » et doit être produite. Et produire de l’hydrogène nécessite beaucoup d’énergie… 

Paquebot à voile. Une réalité proche ?
Et les paquebots à voiles, vous y croyez ? Là encore, ce sera une réalité demain pour pouvoir voyager en polluant moins. Un concept qui laisse quand même rêveur !

De nombreux constructeurs de bateaux de plaisance présentent des catalogues où l’on découvre des voiliers ou même des bateaux à moteurs présentés comme « écologiques », « zéro émission » ou « éco-conçus ». Et de nombreux autres termes semblent nous dire : vous pouvez nous acheter, on ne fait pas de mal à la planète ! Et c’est une réalité, les résines recyclables sont un vrai plus, tout comme l’utilisation de fibres naturelles (lin, bambou et autres) pour les sandwichs des bateaux. La recherche et les progrès sur la motorisation permettent tout aussi sûrement de moins consommer et donc de réduire l’impact carbone des bateaux de plaisance lors de la phase d’utilisation qui est, à priori, la plus émettrice de CO2. 

Et on ne parle pas ici des études réalisées par les architectes pour offrir des carènes bien plus efficaces et qui offrent toujours plus d’espace à bord tout en limitant (un peu) la consommation d’énergie pour leur permettre d’avancer. 

En un mot, les bateaux construits aujourd’hui sont souvent effectivement moins générateurs d’équivalent CO2 que les bateaux d’il y a 20 ou 30 ans. Cette mise à niveau nécessaire du monde du nautisme a été rendue possible grâce aux investissements conséquents des constructeurs dans la recherche et développement. 

Un effort louable pour une prise de conscience collective

Ne boudons pas notre plaisir, la prise de conscience des acteurs majeurs du monde professionnel de la mer sur l’urgence climatique va dans le bon sens. Oui, il est temps d’agir et oui, chaque effort, même minime, est positif et bon à prendre.
Mais il ne faut pas non plus se voiler la face. L’objectif des entreprises est et a toujours été de générer du profit et de développer de nouveaux produits générateurs d’envies. Un célèbre opérateur de paquebots de croisières en Arctique vient ainsi d’annoncer la construction d’un nouveau navire à l’horizon 2030. Un navire « zéro émission » équipé de voiles rétractables et d’un parc batteries de… 60 mégawatts. Batteries qui seront rechargées par des sources « d’énergies renouvelables » à chaque escale. Si on ne peut que se réjouir de voir des bateaux ne rejetant pas de CO2 dans des lieux aussi sensibles que la zone Arctique, faut-il pour autant se réjouir d’y voir de plus en plus de paquebots y naviguer ? 

La même question se pose avec les constructeurs de bateaux de plaisance qui se mettent, les uns après les autres, à la motorisation électrique. Motorisation qui n’a de sens que si on est capable de produire l’énergie nécessaire à bord. Et les voiliers (et à fortiori les bateaux à moteurs) d’aujourd’hui consomment beaucoup trop d’énergie pour se déplacer ou pour leur confort à bord pour que celle-ci puisse être générée directement avec de simples panneaux solaires, éoliennes ou hydroliennes. Si certains bateaux de grande croisière peuvent effectivement être autonomes en termes d’énergie, il s’agit avant tout de voiliers aux carènes modernes et sportives et capables de naviguer à la voile avec peu de vent… Et c’est loin d’être la majorité des bateaux sur le marché !

La solution pour ces bateaux « électriques » consiste donc à les équiper d’un ou de plusieurs énormes générateurs (qui fonctionnent à l’énergie fossile) et d’un parc de batteries tout aussi gigantesque pour stocker suffisamment d’énergie.

Bref, on est très très loin du « zéro émission » promis dans les jolies brochures de publicité.

Aqua, super-yacht écolo fonctionnant à l'hydrogène
Voici Aqua, un super-yacht “ecolo” fonctionnant à l’hydrogène. Vous avez dit écologique ?

Quand le greenwashing annonce de vrais bouleversements

Les solutions techniques proposées aujourd’hui et encore plus celles que les architectes, bureaux d’études et chercheurs nous annoncent pour demain vont dans le bon sens. Il ne faut cependant pas être dupe : quand on vous propose un bateau ou une croisière « zéro émission », « durable », « bon·ne pour la planète » ou autre terminologie laissant à penser que l’acte de consommer (ce bateau ou cette croisière ou ce voyage) n’aura pas ou très peu d’impact sur notre planète est un leurre. C’est du pur marketing et l’objectif reste de vous vendre le produit en faisant croire qu’il est « vert », littéralement c’est du « greenwashing » (soit mettre en avant des arguments écologiques pour donner de l’entreprise ou du produit une image écoresponsable).

Bateaux de course qui volent sur l'eau. Luna Rossa
Les bateaux de courses d’aujourd’hui volent au-dessus de l’eau. C’est déjà le cas aussi pour des bateaux de transport de passagers. Un moyen efficace de consommer moins d’énergie… (Photo Carlo Borlenghi/Luna Rossa)

Mais le simple fait qu’aujourd’hui, on cherche à nous vendre des produits en utilisant des arguments écologiques montre que le logiciel a changé. On progresse et c’est tant mieux, car le dernier rapport du GIEC a – encore une fois – démontré l’urgence d’agir MAINTENANT pour éviter le pire.

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